Mort pour la France

Guillaume Yves LE DOEUFF  (1880/1915)

le père de Guillaume dans les années 1920

la mère de Guillaume dans les années 1920

 

Fils de Louis, un petit cultivateur, né à Bannalec (Finistère) en 1853 et de Thérèse GUERNALEC, née à Bannalec en 1856; mariés en septembre 1876 à Saint-Thurien, Guillaume Yves LE DOEUFF est né le 5 janvier 1891 dans la commune de Saint-Thurien (Finistère). C'est le 5ème enfant d'une fratrie de six.

 

Après avoir passé son enfance à Saint Thurien, Guillaume suit sa famille à Groix, où elle s'est installée. Il fait son apprentissage de marin-pêcheur en étant mousse vers 12/13 puis comme matelot. Il est inscrit maritime sous le n° 1958 / Groix, lorsqu'il passe devant la commis-sion de recrutement en 1911. Son n° au recrutement est le Lorient / 2913.

 

Il effectue son service militaire à partir de 1912, au 3ème dépôt des équipages de la flotte à Lorient où il obtient son brevet de matelot de seconde classe / Gabier.

 

Au début de la guerre, il embarque sur le cuirassé "Léon Gambetta".

 

Il décède, en mer,  le 27 mars 1915.


 

Quand la guerre éclate en août 1914, Guillaume LE DOEUFF est matelot de 2ème classe, breveté "gabier", ij est affecté au cuirassé "LÉON GAMBETTA" dont le port d'attache habituel est à Brest.

 

L’effectif règlementaire du "Léon Gambetta" comportait 22 officiers et 799 officiers-mariniers et hommes d’équipage dont deux groisillons: Ange EVEN(N)O et Guillaume LE DOEUFF.

 

De 1914 à 1915 le "Léon Gambetta" est basé à Malte, au sein de la 2ème escadre légère (Contre-amiral Sénès). Il participe à la protection des cargos ravitaillant les alliés (serbes, monté-négrins,...) qui luttent contre l'Autriche.

 

En mars 1915, un plan de blocus est établi, précisant les points de ravitaillement et de rendez-vous pour la division de l'Adriatique, ainsi que des routes de patrouille. L'opération de débarquement dans les Dardanelles a échoué. Plus que jamais, il faut aider l'armée serbe.  Or, le canal d'Otrante grouille de sous-marins ennemis et les équipages des vapeurs refusent d'appareiller.

 

En attendant l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés des alliés, une ligne de croisière est établie entre le cap Santa Maria di Leuca, à l'ouest, et l'île Sainte Maure, à l'est.

 

Quatre croiseurs cuirassés "Victor-Hugo", "Jules-Ferry", "Waldeck-Rousseau", "Léon-Gambetta." font chacun leur tour un quart du trajet. Sous les ordres du capitaine de vaisseau André, le "Léon Gambetta" participe au blocus de la marine austro-hongroise en mer Adriatique.

 

Le 24 février 1915, nous perdons le contre-torpilleur d’escadre « Dague » qui saute sur une mine à Antivari.

 

L’eau s’infiltre rapidement à l’intérieur du bateau où règne désormais le chaos. Deux chaloupes sont lancées à la mer , mais l'une d'elles sombre rapidement. L'autre, pouvant contenir 50 hommes, est aussitôt  gagnée par quelques 108 marins. Les autres sont repoussés. En l’espace d’une vingtaine de minutes, le Leon Gambetta est englouti au fond de l’Adriatique, une mer dans laquelle viennent de plonger quelques dizaines de militaires, accrochés à des débris et des morceaux de bois. Ils y passeront la nuit, à lutter contre la fatigue et le froid, et à s'encourager pour rester éveillés. Certains ne survivront pas.

 

L'embarcation de sauvetage se dirigera vers le phare de Leuca. Vers 8 h du matin le canot, remorqué par les marins et pêcheurs, dans la dernière partie du parcours, parviendra miraculeusement au village de Santa Maria de Leuca distant de 14 milles environ de la zone du naufrage.

 

 

Bientôt le jour se lève, et au froid va succéder le soleil qui brûle ces hommes affamés et assoiffés. Vers 14h, une fumée noire apparaît, disparaît, reparaît enfin: à l'arrivée de la chaloupe, le chef du sémaphore de Santa Maria di Leuca, Mario Sandri a aussitôt déclenché l'alerte par téléphone. Partis à la seconde, de Tarente, de Brindisi, torpilleurs et contre-torpilleurs italiens arrivent, ils sont là ! Les torpilleurs italiens 33PN et 36PN sauvent 27 naufragés. Les torpilleurs Indomito et Intrepido arrivés peu de temps après sur la zone du drame recueillent encore 2 survivants, ils repêchent 58 cadavres dont celui de l’amiral Sénès. Ils ne recueilleront que 29 hommes à bout de forces, sur les 300 qui s’étaient jetés à l’eau vers minuit quarante-cinq se compteront parmi les 684 morts de l’équipage qui comptait 821 officiers et marins.

 

Bilan tragique, sur les 821 hommes d'équipage, on compte 684 qui ont péri (dont les 32 officiers dont le CV André et le CA Sénès), dont 624 qui sont portés disparus, et inscrits au registre des décès de la ville de Brest, 60 cadavres qui ont été retrouvés par les marins italiens, et seulement 137 qui ont survécu au torpillage

 

Les rescapés furent très bien traités par la marine italienne, ils furent dans un premier temps conduits à Brindisi, où ils reçurent un bon accueil; bien qu'embarassant la diplomatie italienne.

 

Le 30 mai, les marins rescapés du "Léon Gambetta" embarquaient à bord du "Courbet" à destination de Malte.

 

Le "Léon-Gambetta" est le premier (mais pas le dernier, hélas !) navire de cette taille à avoir été torpillé et coulé par un sous-marin ennemi.

 

Le jugement déclaratif du tribunal de Brest du 18 juin 1916 décrit ci-dessous, est retranscrit, dans le registre des décès de la commune de Groix, le 4 août 1916.

 

 

Son nom est inscrit sur tous les monuments mémoriels de la commune de Groix

 
• Jugement déclaratif de décès rendu le 28 juin 1916 par le Tribunal civil de Brest, transcrit à Brest le 25 juillet 1916 : Registre des actes de décès de la ville de Brest, Année 1916, Volume II., f° 82, acte n° 1.042.

Complété par Jug. Trib. civ. Brest, 27 déc. 1916, transcrit à Brest, le 9 janv. 1917: Registre des actes de décès de la ville de Brest, Année 1917, Volume I., f° 11, acte n° 39.

 

« Attendu que le croiseur cuirassé Léon-Gambetta a été coulé par un sous-marin ennemi le vingt-sept avril mil neuf cent quinze, dans la mer Adriatique, au Sud du cap Leuca;

  attendu que six cent vingt quatre hommes de l’équipage ont disparu, que leur corps n’a pas été retrouvé; attendu que le 22 mai 1916 M. le Ministre de la Marine a rendu une décision déclarant présomption de perte du bâtiment et disparition de six cent vingt quatre personnes formant partie de l’équipage, dont les noms sont spécifiés dans la requête ;

  attendu que les décès sont constants mais qu’il n’a pas été possible de dresser des procès verbaux de disparition; qu’il y a lieu de constater judiciairement ces décès.

Par ces motifs : Déclare constant pour avoir eu lieu le vingt-sept avril mil neuf cent quinze, dans la mer Adriatique, au Sud du cap Leuca, le décès des marins dont les noms suivent, disparus dans la perte du croiseur cuirassé Léon-Gambetta et Morts pour la France : [...] »

 

quelques marins sur le pont du "Léon Gambetta"

 

 

Le cuirassé  "Léon Gambetta", construit à l'arsenal de Brest (29), était un navire d’une longueur de 146,50m, une largeur de 21,40 m au maître-bau, un tirant d’eau de 8,20 m, il avait un déplacement de 12 600 tonnes. La propulsion était assurée par 3 machines à vapeur regroupant 28 chaudières qui assuraient une puissance de 28 500 cv. Il pouvait atteindre une vitesse max de 23 nœuds, son rayon d’action était de 6 500 milles à 10 nœuds (12 000 km à la vitesse de 17 km/h ).

 

Son armement principal était constitué de 4 canons de 194 mm en tourelles axiales, 16 canons de 164 mm dont 12 en tourelles doubles et de 24 canons de 47 mm. Pour la défense anti sous-marine il était doté de 2 tubes lance-torpilles de 450 mm. Un blindage de 170 mm à la flottaison, de 200 mm au blockhaus du commandant et de 140 mm aux positions de l’artillerie  assurait la protection cuirassée.

 

 

Le 27 avril 1915, en mission de protection des cargos chargés de ravitailler le Monténégro, vers 0 h 30, le "Léon Gambetta" est torpillé par le sous-marin autrichien U du commandant Von Trapp, à l’entrée du chenal d’Otrante, au niveau du talon de la «botte italienne».

 

 

 

Touché par 2 torpilles, notamment dans la chambre des dynamos, le navire prend rapidement de la bande et coule en dix minutes.

 

 

 

impact des torpilles

 

Très vite, le navire breton s’incline. Plusieurs centaines de marins se retrouvent plongés dans le noir et bloqués à l’intérieur, sans aucune issue possible. Endommagée, l’antenne de transmission n’est plus en capacité d’envoyer un quelconque message de détresse aux navires alliés. Au bout de trois minutes, l'inclinaison du navire est déjà de 30°. Neuf mn après avoir été touché, le croiseur se retourne. Dans la confusion générale, plusieurs cris s'élèvent : "Vive la France" .

 

 

Pendant qu'à distance le sous-marin observe, environ 300 hommes tentent de se maintenir en surface, cramponnés à des madriers, des mâts, des cages, à poules ou à de "jolis cochons roses" selon E. Abgrall.

 

Le matelot survivant Monfort écrit à ses parents : "j'ai ramassé mon courage et je me suis tenu sur l'eau avec deux rames que je me suis passé sous les bras. Heureusement, la mer était bonne".

 

Les marins se regroupent, s'encouragent, se soutiennent, et soutiennent les officiers, physiquement moins entraînés. Certains appellent leur mère, d'autres leur femme. Et, dans ces instants qui peuvent être les derniers, ils pensent à ces enfants qu'ils voudraient tant voir grandir. Plus de 500 marins meurent dans la nuit à cause d'hypothermie et de fatigue.

 

Si encore, comme leurs camarades anglais, ils avaient reçu les collets de sauvetage !  Mais ceux-ci ne seront distribués que bien plus tard, trop tard pour eux. Peu à peu, les voix s'affaiblissent. Déjà, froid, fatigue,  congestion et crampes achèvent certains. Des madriers auxquels ils étaient cramponnés, des hommes, comme des fruits trop mûrs, se détachent et coulent à pic, en dépit des efforts de camarades plus robustes.

 

le naufrage, vu par la presse allemande, en médaillon le commandant du sous-marin U5

image du naufrage de propagande hongroise

 

Guillaume Yves LE DOEUFF fait partie de ces 624 hommes disparus, morts noyés dans le naufrage. Il avait 24 ans et il était célibataire. 

 

Mort pour la France, il sera honoré, à titre posthume de la Croix de Guerre avec une étoile de bronze

 

 

 

J.O. 26 novembre 1921

JO du 6 août 1915  Le bâtiment et les marins reçoivent une citation à l'ordre de l'Armée