Mort pour la France

Émile BIHAN (1893/1916)

le père d'Émile, Émile

la mère d'Émile, Marie Josèphe

 

Fils d'Émile, marin-pêcheur, né à Groix en 1859 et de Marie Josèphe STÉPHANT, née à Groix en 1861, mariés en octobre 1886, résidant dans le village de Locmaria, Émile BIHAN est né le 13 décembre 1893 à Groix dans le village de Locmaria. C'est le 4ème enfant d'une fratrie de six.

 

Après quelques années sur le bancs de l'école, Émile comme la plupart des jeunes groisillons fait son apprentissage de marin en s'embar-quant comme mousse dès l'âge de12/13 ans, puis comme novice. A l'âge de 18 ans il devient inscrit maritime au registre des gens de mer du quartier de Groix sous le numéro matricule n° 2092.

 

Il est levé (appelé) pour son service militaire vers novembre 1913 qu'il effectue d'abord au 3ème dépôt des équipages de la flotte à Lorient. Il est encore célibataire.

 

Émile BIHAN décède le 8 février 1916, en mer. Il vient d'avoir 22 ans.

 

voir fiche suivante Joseph VAILLANT


 

Après quelques semaine de formation, les classes... Émile BIHAN embarque comme matelot de 2ème classe, breveté "chauffeur", c'est à dire chargé des machines dans les soutes...

Émile BIHAN embarque sur le croiseur cuirassé "Amiral Charner", le 1er août 1914, son navire participe d’abord à des escortes et à la surveillance du canal de Suez.

 

Le 9 septembre 1915, l’"Amiral Charner" participe à l'évacuation de 4 300 Arméniens du port d’Antioche.

 

Le 7 février 1916, le cuirassé "Amiral Charner" fait escale sur l’île de Rouad, à quelques encablures des côtes syriennes pour apporter du matériel et emporter le courrier. Position stratégique dans la lutte pour la maîtrise de la Méditerranée orientale, l’île de Rouad est occupée par les troupes françaises depuis début septembre 1915.

 

Le capitaine de vaisseau Causse, qui commande l’"Amiral Charner" depuis deux ans, sachant les abords de l’île menacés, décide d’appareiller de nuit. Un sous-marin allemand croisant au large a en effet été signalé dans la journée du 6 février. Le vaisseau, avec son équipage au grand complet de 426 hommes, quitte le port de Rouad, le 7 février à la nuit, tous les hublots bouchés afin qu’aucune lueur ne filtre.

 

lieu de la disparition du "Amiral Charner"

 

Le 8 février dans l’après-midi, Port-Saïd constate que l’"Amiral Charner" ne répond plus. Et le 9 février, au matin, à l’heure où il devait entrer dans Port-Saïd, on est toujours sans nouvelles. Des navires sont alors dépêchés à sa recherche et pendant plusieurs jours explorent le trajet supposé de l’Amiral Charner. Le dimanche 13 février un radeau, avec un naufragé, est repéré. C’est le seul survivant. Dénommé Joseph Cariou, de Clohars-Carnoët, son récit paraît dans le journal L’Illustration du 11 mars 1916.

 

Il est glaçant de lire dans cette note que l'objectif principal est la guerre économique... nos marins civils groisillons en savent quelque chose !!!

 

"Amiral Charner" est un croiseur cuirassé (1893-1916) mis sur cale à Rochefort en 1889, lancé en 1893. 

 

Caractéristiques: 4700 Tx; 110 x 14 x 6,20 m ; 2 cheminées ; 2 machines Creusot ; 16 chaudières Belleville ; 2 hélices ; 8800 ch ;  17 nds ; 410 hommes - 2 canons de 194mm + 6 de 138mm + 12 canons.

 

Du nom de Léonard Victor Joseph Charner (né le 13/02/1797 à St-Brieuc - mort le 7/02/1869) Le 4 février 1860, le vice-amiral Charner reçoit le commandement en chef des forces navales en Extrême-Orient. Il participa à ce titre à la conquête de la Cochinchine, où il organisa la colonie.

 

Parcours du navire

Division d’instruction 1896: opérations de Crête

1901 - 1902 : escadre d’Extrême-Orient

05.1901: remonte le Yang-Tsé jusqu’à Hankou inaugure le quai de France

02.1905: en réserve à Toulon.

1911 – 1912: Crête

08-11-1914 : escortes Maroc-France (division navale du Maroc)

11.1914 : surveillance du canal de Suez avec le REQUIN

09.09.1915 : évacuation des 3 000 Arméniens d’Antioche

28.12.1915: prise de l’ île de Castellorizo avec JEANNE D’ARC

08.02.1916 : torpillé par le sous-marin U-21 (KL Otto Hersing) à 44 milles dans le 221 de Beyrouth et à 16,3 milles de Tyr par 33°21N et 34°54E (KTB U 21), coule en 2 minutes avec la quasi-totalité de son équipage

(un seul survivant, le Quartier Maître Cariou).

les chauffeurs en pleine action dans les entrailles d'un grand navire

 

Pierre BIHAN disparait, meurt noyé, avec son navire l'Amiral Charner, torpillé le 8 février 1916 vers 7h au large de Tyr (aujourd'hui Soûr) au Liban. Son corps ne sera jamais retrouvé. Il venait d"avoir 22 ans et il était célibataire.

 

Un jugement déclaratif prononcé par le tribunal de Toulon  le 29 août 1916 confirme le décès.

 

Ce jugement sera transcrit dans le registre d'état-civil de la commune de Groix le 18 octobre 1916

 

Le nom de Pierre BIHAN sera gravé sur tous les monuments mémoriels de la commune de Groix y compris sur celui de l'Église, bien que disparu, avec curieusement une date erronée (7 avril) qui ne correspond à rien...

 


 

Le récit du Joseph CARIOU,quartier-maître canonnier  paru dans la journal L’Illustration du 11 mars 1916

 

« Le mardi matin 8 février, nous étions dans les parages de Beyrouth, environ 10 à 15 milles au large. Je me trouvais sur le pont arrière. Il faisait assez beau temps, pas très froid, très peu de vent. Ayant entendu un bruit sourd avec un fort tremblement du bateau, on a eu tout de suite l’impression que c’était une torpille, parce que la veille au soir, en appareillant de l’île de Rouad, on avait signalé un sous-marin. Le bateau a tout de suite piqué du nez un petit peu, et puis il a chaviré presque aussitôt. C’est alors que j’ai voulu retirer ma vareuse. Je n’ai pas eu le temps, j’ai été projeté sur les rambardes, et j’ai coulé avec.

Quand je suis remonté à la surface, je me suis trouvé à côté d’une petite épave, une cage à poule démolie, et je suis resté là- dessus pendant une heure environ. Et puis j’ai vu passer un radeau pas très éloigné de moi. Il y avait déjà 5 ou 6 bonhommes là dessus. Comme il y avait du monde qui s’approchait, on a été forcé d’aller à la nage chercher des bouts de planches pour renforcer le radeau.

A ce moment il était 8 h30/ 8 h45 ; nous étions au complet à 14 sans vivres ni eau.

La première journée a été très calme, assez belle ; le radeau étant trop chargé, nous étions complètement immergés. Dans la nuit, vers les 10 heures, un quartier maître est devenu fou. Il voulait qu’on aille lui chercher à boire. Il allait d’un bout à l’autre du radeau qu’il a fait chavirer. Nous nous sommes retrouvés à 9. Le deuxième jour, il y a eu un fort orage, avec un grand vent d’Est qui nous éloignait de terre, et de la pluie, un temps sombre qui nous cachait la côte. On était obligé de se cramponner au radeau pour rester dessus. Tout de même, je me sentais mieux que la veille. On avait été obligé de travailler dans l’eau pour arranger le radeau et puis j’avais bu beaucoup d’eau salée en coulant ; je l’avais rendue pendant la nuit.

A la fin du deuxième jour, 3 sont morts presque en même temps, tous de la même façon : ils devenaient fous et ils partaient d’eux-mêmes à la mer. Il y avait un maître qui voulait du tabac à toute force. Dans la nuit nous n’étions plus que 3 : un quartier maître infirmier qui a souffert de grands maux de ventre, et un matelot, un jeune qui ne pouvait plus parler.

Pendant le troisième jour, le temps a été assez beau. Vers les 10 heures, le quartier maître infirmier est devenu fou, il croyait voir des torpilleurs de partout quand il regardait l’horizon. Il voulait que je l’envoie à terre manger dans un restaurant. Vers 5 heures de l’après midi il s’est jeté à l’eau. Il ne restait plus que le matelot. Vers les onze heures, minuit, lui aussi il est parti à l’eau, je ne me suis pas rendu compte comment.

Alors je suis resté tout seul deux jours et trois nuits. J’ai surtout souffert de la soif et du froid. Je me rinçais la bouche avec de l’eau de mer ; au bout de cinq minutes j’avais plus soif qu’avant. J’ai coupé le bout de mon petit doigt avec un couteau que j’avais trouvé sur le radeau et j’ai sucé le sang. Ça ne passait pas. Ça restait dans la gorge et il fallait le recracher. J’ai essayé d’ouvrir une veine au bras gauche, mais je l’ai seulement mise à nu. Et puis deux fois j’ai bu de l’urine, mais c’était trop salé.

Le quatrième jour, au matin, j’ai vu un chalutier et j’ai fait des signaux par les moyens que j’avais, un aviron et mon caleçon au bout. La mer était grosse et il ne m’a pas vu. J’ai passé la journée à me cramponner sur le radeau. Pendant la nuit, le vent a été très calme. C’est le froid qui me travaillait le plus ; j’étais obligé de me tremper dans l’eau pour avoir plus chaud.

La dernière journée, le samedi, la mer était calme, pas trop de vent. J’étais complètement découragé, je me disais que mon tour allait venir d’aller à l’eau comme les autres et je me demandais s’il ne valait pas mieux en finir. C’est la pensée de ma famille qui m’a retenu. Je me suis assoupi, je ne sais pas combien de temps, quand je suis revenu à moi, le courage était revenu.

Vers les 7 heures du matin, le dimanche, j’ai aperçu le chalutier, je me suis dressé en faisant des signaux, pas plus de cinq minutes : je n’en pouvais plus.

Quand le chalutier a compris que ce n’était pas un périscope, il a hissé l' "aperçu " et il a mis une baleinière à l’eau pour venir me prendre. J’étais bien content, mais aussi calme que je suis maintenant ; seulement je pouvais à peine parler. A bord, on m’a donné du thé, du rhum, du lait et on m’a couché ; seulement je n’ai pas pu dormir pendant quatre jours.

Maintenant je suis bien et j’espère qu’on ne me gardera pas longtemps à l’hôpital. Je serais heureux de me retrouver dans ma maison, à Clohars-Carnoët. A 500 mètres de chez nous, il y avait un jeune homme (Julien AUDREN quartier-maitre canonnier de 22 ans, originaire de Clohars-Carnoet), un rescapé du Léon Gambetta, embarqué avec moi sur le Charner, c’était sa destinée à celui là de ne pas revenir.»

 

Emile BIHAN était-il sur le radeau de Joseph CARIOU ?? Probablement pas, étant chauffeur, il se trouve dans les soutes, dans la salle des machines… avec peu de chances, en cas de naufrage subit, d’en sortir. Il y aura 374 marins morts