Mort pour la France

Jean Marie BONNEC  (1893 / 1915)

un dundee groisillon, spécialisé dans la pêche aux thons

le bonnet réglementaire (bachis) du "Bouvet"

 

Fils de François Laurent, marin-pêcheur, né à Groix en 1861 et de Marie Élisabeth JOUANNO, née à Groix en 1859, mariés en novembre 1892, Jean Marie BONNEC est né le 20 juillet 1893, à Groix au domicile de ses parents situé dans le village de Kerlo bihan. Il est l'aîné d'une fratrie de 2 enfants.

 

Après quelques années passées sur les bancs de l'école, il fait son apprentissage de marin-pêcheur, d'abord comme mousse vers l'âge de 12/13 ans, puis comme matelot.

 

Lorsqu'il passe devant la commission de recrutement, en 1892, il est déjà inscrit maritime sous le matricule 2075 / Groix.

 

Son numéro matricule au recrutement est le 212 / Lorient. Il est levé (incorporé) vers juin 1913 au 3ème dépôt des équipages de la flotte.

 

Jean Marie BONNEC décède le 18 mars 1915, noyé, en mer au large de la Turquie.


 

Quand la guerre éclate, Jean Marie BONNEC, gabier breveté, est affecté au "BOUVET", dont le port d'attache habituel est Toulon (Var)

 

Le "BOUVET" est un croiseur-cuirassé de 12.200 T, lancé en 1896 à Lorient, de 15 000 chv marchant à une vitesse maximum de  18 nœuds. Long de de 118m, large de 21m avec un tirant d'eau de 8,4m. Il est armé de 34 canons: 2 canons de 305 mm, 2 de 274 mm, 8 de 138 mm, 8 de 100 mm, 14 de 47 mm et de 2 tubes lance-torpilles. Sa protection de est faite de plaques de 400 mm d'acier à la flottaison et 90 mm au pont. Son gros point faible, comme pour tous les cuirassés français de cette époque, selon les spécialistes, se situait au-dessous de la flottaison. Le compartimentage de la coque était insuffisant et surtout mal conçu et mal disposé.

 

L'équipage du "Bouvet" est composé théoriquement de 591 hommes (dont 2 groisillons Jean Marie BONNEC et Elysée LE QUELLEC), 10 aspirants et 21 officiers.

 

Le 11 janvier 1913, le cuirassé "Bouvet" est affecté à la division de complément commandé par l'amiral Guépratte, qui comprenait également le cuirassé "Charlemagne", le "Gaulois" et le "Suffren". Cette division escorte les convois en Méditerranée et surveille le golfe de Gênes et le détroit de Messine. Puis en décembre 1914 il monte la garde devant le détroit des Dardanelles car les cuirassés allemands "Goeben" et "Breslau" avaient trouvé refuge à Constantinople. En février 1915, une attaque alliée de grande envergure fut décidée pour détruire ces cuirassés et si possible la flotte turque, mettre à merci le gouvernement turc, et rejoindre la flotte russe de la mer Noire. Les navires français furent intégrés dans une force franco-britannique commandée par l'amiral anglais de Robeck. Le 25 février, le "Bouvet" bombarde Hellès. Du premier au 6 mars, le "Bouvet" est dans le golfe de Saros. 

 

Le 18 mars, l'amiral Guépratte reçut l'ordre de forcer le détroit et d'attaquer les grands forts qui défendaient son accès. Sa division, renforcée par les cuirassés anglais "Prince George" et "Triumph" fut répartie en deux sections respectivement chargées d'attaquer la rive Nord ("Gaulois", "Charlemagne" et "Triumph") et la rive Sud ("Bouvet", "Suffren" et Prince George"). 

 

 

Le 18 mars 1915, à 13h58, une mine dérivante toucha le cuirassé au centre à tribord, sous la ligne de flottaison au niveau de la tourelle de 274 mm. Une énorme explosion causa une profonde voie d'eau qui envahit la zone des machines du navire. Le navire se coucha très rapidement, du fait de la mauvaise conception du compartimentage de la coque. Ces cuirassés furent qualifiés de "chavirables" par un ingénieur (E. Bertin) qui dénonça cette erreur, mais qui ne fut pas écouté. L'eau pénétra rapidement dans les cheminées. En moins d'une minute, le cuirassé coulait, emportant avec lui la plupart des 700 hommes d'équipage.

 

Quelques-uns furent sauvés par une vedette du Prince George croisant à proximité immédiate. Le radio du bord, notamment, arraché inconscient à son poste et qui ne se réveilla qu'une fois repêché, sans aucun souvenir. Le personnel de la tourelle avant, qui était sorti pour échapper à l'asphyxie, put être entièrement sauvé. Les blessés furent soignés sur le navire hôpital français « Canada ».

 

Seuls, 75 hommes survécurent, dont 5 officiers. Cette tragédie coûta la vie à 648 marins, dont le capitaine Rageot de la Touche qui, sur la passerelle, aurait pu se sauver, mais qui choisit de se laisser couler avec son bâtiment.

quelques marins du "Bouvet" rescapés sur l'un des cuirassés anglais

 

Jean Marie BONNEC disparait dans le naufrage du "Bouvet", le 18 mars 1915. Il n'avait pas encore 22 ans et il était célibataire.

 

Un jugement, rendu le 20 mars 1916, par le tribunal de Toulon officialise son décès. Jugement transcrit dans le registre d'état-civil de la commune de Groix le 15 mai 1916.

 

Jean Marie sera honoré, à titre posthume, comme tous les marins du "Bouvet" disparus, d'une Croix de guerre dôtée d'une étoile de bronze. 

 

J.O. 26 novembre 1921

 

Son nom est inscrit sur tous les monuments mémoriels de la commune de Groix.

 

J.O. 6 août 1915

 

Les navires anglais, au centre du dispositif, cherchaient à localiser et détruire les batteries côtières turques. Ils étaient flanqués, à gauche, du "Gaulois" et du "Charlemagne" et, à droite, du "Bouvet "et du "Suffren".

 

Le "Bouvet" fut plusieurs fois touché, il reçut 8 impacts de l'artillerie turque qui ne lui causèrent que des dommages légers. Sa tourelle de 305 mm située à l'avant fut mise hors d'état de tirer après 6 coups, par suite de l'asphyxie de ses servants, conséquence de la mise hors service accidentelle de l'écouvillonnage pneumatique prévu pour chasser les gaz délétères dans le tube du canon après le tir. Un obus de gros calibre éclata sur le pont et un autre contre la cuirasse. Virant de bord pour rendre battantes ses tourelles tribord, il reprit son tir sur la batterie turque de Souan-Déré, puis il prit le poste du "Suffren", lui aussi durement atteint. En trente minutes il écrasa les dix pièces turques. Vers 14 heures, la division française se retirait pour faire place aux Anglais 

 

Le "Bouvet" heurta, quelques instants plus tard, dans la baie d'Erin Keui, une mine indécelée. Il s'agissait probablement d'une mine mouillée dans la nuit du 7 au 8 mars par le torpilleur turc Nousret.

 

Le "Bouvet" disparaît dans les fonds marins de la baie d'Érin Keui (Turquie)

 

 

l'agonie du "Bouvet"

J.O. 3 décembre 1919


quelques marins disparus lors du naufrage du "Bouvet"

                             ALLAIN Michel                                          AMELINE Henri                             GASSION Adrien.                                     VELEN Alain                                 KÉRISIT  M.

 

Écoutons les rescapés du Bouvet :

 

" La chute du bâtiment sur tribord est si brusque, que tout le monde a la sensation immédiate de l'irrémédiable, et l'évacuation commence aussitôt, sous la direction des chefs de groupe. Le commandant en second qui revenait de la tourelle I, rencontre l'officier de sécurité; il lui dit: « C'est une mine, je vais voir ", et se précipite vers l'arrière de l'entrepont cuirassé."

 

" L'officier de sécurité, lui, reste au pied de l'échelle du compartiment des mines et encourage les hommes qui commencent à monter, simples matelots d'abord, puis quartiers-maîtres et gradés, officiers en dernier."

 

Un maître torpilleur dit : « Nous étions dans le compartiment des torpilles. J'ai dit aux hommes: " C'est une mine, ça ne pardonne pas. Foutons le camp." L'officier de sécurité qui était au bas de l'échelle disait: " Pas de panique! pas de panique! " et il y avait plein de monde dans l'échelle, mais pas de cris ni de bousculade. M. Cosmao qui montait derrière moi m'a poussé pour m'aider. Arrivé au pont de batterie, je suis allé tomber dans la cloison tribord (le navire avait pris tout de suite 40° d'inclinaison). J'ai monté l'échelle qui tombe sur la tourelle avant. Les hommes étaient sortis. Je suis ressorti par la tourelle 6, par un rétablissement. Les hommes n'ont pas monté, parce qu'ils trouvaient l'échelle trop dure et sont allés sur les jardins (sorte de balcons autour des tourelles) bien que je leur aie dit: " A l'avant ! à l'avant ! " Je suis donc resté seul avec Bezu. J'ai été sur l'ancre. Au moment où je passais, la tourelle glissait de son pivot et tombait à l'eau (avec son canon de 164). J'ai attendu l'eau et me suis mis à nager. "

 

En somme, presque tous les hommes des fonds sont parvenus à gagner la batterie supérieure, - à l'exception du personnel de la machine dont pas un seul n'est revenu: saluons très bas! Mais la bande est tellement forte (60° maintenant) qu'ils glissent et sont entraînés contre la muraille de tribord déjà couchée sous l'eau, sans pouvoir atteindre les ouvertures de bâbord, qui représentent le salut. En haut, sur les ponts et dans les tourelles, il est plus facile d'échapper.

 

Un quartier -maître fourrier dit :"J'étais dans le blockhaus avec le commandant, au porte-voix des machines. Le commandant donne l'ordre de stopper. Personne ne répond dans le porte-voix. Le commandant m'a dit: "Sauvez-vous ". Il est sorti derrière moi. J'ai attrapé deux drisses de pavillon qui pendaient le long du blockhaus, et qui m'ont permis de gagner l'échelle tribord. J'ai été engouffré avec l'eau, et j'ai reparu à côté d'une baille. J'ai coulé deux fois."

 

Un canonnier breveté de la tourelle n° 4 déclare: " Quand le coup s'est produit, un maître canonnier dit qu'il faut évacuer, et un enseigne de vaisseau, donne l'ordre. Un quartier-maître canonnier ouvre la porte de la tourelle. On voulait tous passer. Le maître canonnier dit: " Doucement! doucement! l'un après l'autre." Nous sommes tous sortis l'un après l'autre. Le bateau était tellement incliné que je n'ai pas pu aller plus loin. Devant moi il y avait un homme qui était sur la cuirasse (dehors et presque sauvé par conséquent) qui a tombé et qui a rentré par la porte dans la batterie d'où il ne pouvait plus ressortir à cause de la bande. Alors j'ai attendu que le bateau coule. J'ai été emmené avec le bateau. Je suis ressorti avec le tourbillon. J'ai rencontré un quartier-maître de manoeuvre, sénégalais et un matelot fusilier et je les ai suivis nageant jusqu'à la vedette du Prince-George. »

 

 

 

 

 

 

Dans la tourelle de 305 avant, le drame final avait été précédé de l'asphyxie des servants, causée par une avarie dans le système d'écouvillonnage qui laissait refluer des gaz délétères de la poudre. L'accident était survenu dès le premier coup tiré. Aux trois suivants, tombent successivement , un servant de culasse, un servant de chariot, un servant de projectile, un surveillant. Un premier maître canonnier avec le deuxième maître canonnier comme culassier et un canonnier, disparu comme chargeur, se mettent à servir la pièce, et le tir continue jusqu'à ce que cette nouvelle équipe se trouve réduite au premier maître, qui charge seul le 11° coup, mais n'a pas la force d'aller jusqu'au bout et s'assoupit sur la culasse ouverte. Le servant de téléphone, et le pointeur viennent la fermer. En même temps, un lieutenant de vaisseau, commandant la tourelle, tombe inanimé de son capot dans les bras du servant de téléphone. A cet instant l'ordre est donné de cesser le feu. Le docteur, médecin-major du bâtiment, et un infirmier arrivent pour soigner les asphyxiés, et sont surpris avec eux tous par le chavirement, à l'exception d'un matelot et du premier maître, les deux uniques survivants (Bouchon et Labous) de cette poignée de héros. " Je ne sais pas comment je suis sorti, dit celui-ci. C'est l'eau qui m'a remis. J'ai nagé, mais très vite fatigué, je me suis mis sur le dos, avec des avirons revenus du fond sous ma tête. "

 

<<<. Maître LABOUS

Jean-Marie BONNEC n'a pas eu cette chance