Mort pour la France

Jean Marie BIHAN (1890 / 1918)

 

Fils de Louis, un marin-pêcheur groisillon et de Marie Mauricette LILIEN, elle aussi groisillonne, née en 1853, mariés en octobre 1878, résidant dans le village de Locmaria, Jean Marie BIHAN est né le 18 février 1885 à Groix dans le village de Locmaria. Il est le second enfant d'une fratrie de six.

 

Après quelques années passées sur les bancs d'école, Jean Marie entre dans un cycle d'apprentissage de son futur métier de marin-pêcheur. il embarque d'abord comme mousse vers l'âge de 11/12 ans, puis devient novice vers avril 1900. Trois ans plus tard, vers avril/ mai 1903, il devient inscrit maritime définitif sur le registre des gens de mer sous le matricule 1734. Il vient d'avoir 18 ans.

 

En mai 1904, il est levé pour effectuer son service militaire dans la marine. Il est d'abord affecté au 3ème dépôt des équipages de la flotte pour ses classes.

 

Par la suite, il embarque probablement, mais nous ne savons pas sur quelle unité. Faiblement instruit, il restera matelot de 3ème classe, fusilier auxiliaire.

 

Il est rendu à ses foyers au cours de l'année 1908 et reprendra ses activités à la pêche.

 


 

En 1914, à la mobilisation Jean Marie BIHAN a 29 ans. Il est mobilisé dès les premiers jours. En l'absence de son livret militaire individuel, nous ne savons pas où il a affecté, après son passage au 3ème dépôt des équipages de la flotte de Lorient.

 

On le retrouve au début de l'année 1917 à Saint Nazaire (Loire Atlantique) au centre de formation de l'Armement des bâtiment de commerce, comme apprenti canonnier.

 

Il s'agissait de servir des canons installés sur les bâtiments de commerce afin qu'ils puissent se défendre contre les attaques de sous-marins allemands.

 

En mai 1918, Jean Marie BIHAN est embarqué sur le cargo "GARD" de la Compagnie Générale Transatlantique.

 

 marins de l'A.M.B.C. à l'entrainement

 

Le "GARD" est le dernier d'une série de trois cargos en fer, une cheminée, deux mâts, de type "trois îles" construits par le chantier belge John Cockerill à Hoboken: le TARN, le CALVADOS, le GARD.

 

Mis sur cale sous le nom d'ADOUR, lancé le 5 avril 1890 et renommé LE GARD. Mis en service le 25 mai 1890 sur la ligne Dunkerque - Le Havre - Bordeaux - Oran - Alger, puis en 1900 sur la ligne Marseille - Colonies avec ses deux jumeaux jusqu'en 1903. D'avril à septembre 1905 subit une refonte avec remplacement des chaudières. En 1911 rejoint ses jumeaux sur la nouvelle ligne Nantes - Bordeaux -  Casablanca.

 

Il est attaqué une première fois le 5 mai 1917 par deux sous-marins allemands, son équipage riposte avec ses canons et arrive à faire fuir ses attaquants.

 

Il est torpillé le 26 mai 1918 par le sous-marin allemand U 61 au cours d'une traversée Alger - Marseille à proximité de Minorque. Atteint au niveau de la chaufferie, il se casse en deux et coule en une heure. Sur 400 passagers dont 380 militaires et 49 membres d'équipage, on dénombre14 victimes, les rescapés étant recueillis par le torpilleur PIQUE et les canonnières CURIEUSE et DEDAIGNEUSE.

 

 

Rapport de l’officier AMBC

 

" Au moment de l’explosion la veille était assurée par le breveté Salaun et l’aide canonnier Bernard, l’un devant et l’autre derrière. Les veilleurs ne firent pas attention à l’embardée de l'ALSACE qui correspondait à un changement de route régulier. Le choc de l’explosion a sans doute projeté à la mer l’aide canonnier Bernard. L’aide canonnier Jean Marie BIHAN a été ébouillanté dans la coursive alors qu’il rejoignait sa cabine après sa garde. Il est mort quelques heures plus tard sur PIQUE. L’aide canonnier Moulier a probablement été tué dans sa cabine.

Le breveté Salaun a été projeté par l’explosion de la plateforme sur le gaillard. Le QM Cabot, chef de section s’est précipité à la pièce arrière où il a été rejoint par le breveté Gressine. Ils ont gardé leur sang froid, se tenant prêts à tirer, puis ont donné la main à la manœuvre".

 

le torpilleur " PIQUE"

 

la canonnière "CURIEUSE"

 

Rapport du commandant de PIQUE, Lt.V Paul Justin GUIRAUD

 

Le convoi des vapeurs LE GARD et ALSACE, escortés par le torpilleur d’escadre PIQUE, chef d’escorte, et les canonnières DEDAIGNEUSE et CURIEUSE avait quitté Marseille le 25 Mai à 08h30 à destination d’Alger.

A 20h20, le sous-marin a attaqué par bâbord. Il était du côté de la lune, dans de mauvaises conditions. La torpille destinée à ALSACE est passée sous l’avant de ce bâtiment et est venu frapper en plein milieu LE GARD.

Au moment de l’explosion, j’étais assis dans l’abri de navigation sur la passerelle. J’ai appelé aux postes d’alerte et suis venu en grand sur la gauche, en mettant avant toute vers LE GARD. Je n’avais pas vu de sillage et LE GARD continuait à avancer. Je ne savais si c’était une explosion de chaudière ou de torpille. Explorant la mer quelques secondes avec notre projecteur, j’ai aperçu une tache blanchâtre couverte de débris et entendu des cris. J’ai déposé toutes mes embarcations et le grand radeau en donnant l’ordre de sauver les gens et de rallier vers LE GARD. Tout en cherchant le sous-marin, je me suis rapproché de LE GARD. J’ai sauvé des passagers embarqués sur les radeaux. 

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Le commandant du GARD a évacué son bâtiment le dernier après avoir fait une ronde pour s’assurer qu’il ne restait personne à bord. Le transbordement s’est fait rapidement et dans le plus grand calme. Nous avons embarqué 6 blessés et environ 220 hommes qui n’avaient pu prendre passage sur les radeaux. L’équipage du GARD s’est très bien comporté.

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A 21h10, largué LE GARD et accosté divers radeaux pour embarquer leurs passagers. .../...

22h07, route sur Alger après avoir donné l’ordre à DEDAIGNEUSE de patrouiller pendant une heure sur les lieux.

A 04h35, entré dans le port d’Alger et amarré à l’appontement de la Compagnie Générale Transatlantique.

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J’estime que nous avons eu à bord entre 280 et 290 rescapés, chiffre que confirme le nombre de brassières de sauvetage laissées à bord, soit 269.

 

Nous avons enregistré à bord les décès de :

LE BIHAN matelot canonnier du GARD le 27 Mai à 00h00

- BOURRAT matelot électricien du GARD le 27 Mai à 00h20

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Jean Marie BIHAN est mort officiellement à l'hôpital Maillot, à Alger, où il a été transporté après l'arrivée du "PIQUE" à Alger.  Bien que mort sur le torpilleur "Pique" qui l'avait recueilli, on l'a déclaré mort officiellement, des suites de ses blessures dans cet établissement hospitalier. Il avait 33 ans et était célibataire.

 

Curieusement son décès n'est pas enregistré sur les registres d'État-civil d'Alger, ni sur ceux de Marseille, port d'attache du bâtiment à l'époque des faits comme c'est la règle pour les marins morts en mer. Il faudra attendre le 25 septembre 1924 pour qu'il soit inscrit sur le registre d'état-civil de Groix.

 

Probablement inhumé dans un cimetière d'Alger, sera-t-il rapatrié ultérieurement ?

 

Son nom sera inscrit sur les monuments mémoriels de la commune de Groix.

 

Son frère ainé, Jacob BIHAN, était mort trois ans plus tôt à La Chalade.

 

 

Avec l’arrivée de l’Amiral Lacaze nouveau ministre de la Marine, en janvier 1917, commence l’ère de la résistance héroïque. Il décide d’armer militairement tous les bâtiments de la marine marchande, et aussi certains bâtiments de pêche, qui ont en charge d’une mission vitale pour le pays, à savoir le ravitaillement des armées et de la population.

 

Le Gard (1890-1918). Cargo de la Compagnie Générale Transatlantique.

le "Tarn" , sister ship du Gard qui lui aussi été torpillé par un sous marin allemand

 

Les faits, selon le rapport du Capitaine Reynaud de Trets

 

Le "GARD" a quitté Marseille le samedi 25 mai 1918, en convoi avec ALSACE, escorté du torpilleur PIQUE et des sloops CURIEUSE et DEDAIGNEUSE par un vent SW-NW assez fort et une mer assez grosse. Nous naviguons en zigzag et et avec une veille attentive contre les sous-marins.

 

Vers 15h00 le 26 mai, la vigie signale un vapeur à tribord à grande distance. Entre 16h00 et 16h30, on me signale à nouveau ce navire. Une des vigies me dit qu’il a une allure suspecte. Je recommande de veiller attentivement, mais sans m’inquiéter outre mesure. La canonnière DEDAIGNEUSE, en éclairage devant nous doit avoir reconnu ce navire.

 

Un peu avant 16h00, la pompe de circulation du condenseur désamorce et il est nécessaire de réduire à 6 nœuds, puis de stopper quelques minutes pour éviter l’engorgement du condenseur. Allure normale reprise vers 18h30.

 

Vers 19h00, inquiet, malgré la présence de la canonnière d’éclairage, de l’impression que m’a donnée l’homme de vigie du navire en vue, je monte moi-même dans le nid de pie avec de bonnes jumelles pour le reconnaître avant la nuit. Mais j’ai cherché en vain, il était impossible de l’apercevoir. Persuadé qu’il n’a pu échappé à la DEDAIGNEUSE, beaucoup plus rapprochée de lui que nous, je recommande une veille plus attentive que jamais.

 

A 20h20, une forte explosion se fait entendre. Nous venons d’être frappés par une torpille à bâbord milieu, par le travers de la chaufferie. Le navire s’incline aussitôt sur tribord, mais continue à flotter. Je donne des ordres pour la mise à l’eau des canots et des flotteurs et l’envoi du signal de secours. Les trois antennes ont été détruites. La machine stoppe et la lumière s’éteint. Les officiers et l’équipage mettent canots et radeaux à la mer. Il n’y a pas de panique parmi les passagers. 

 

Vers 21h, PIQUE, qui avait déjà recueilli un bon nombre de passagers accrochés aux radeaux, accoste à tribord avant malgré la forte gite qu’a pris le navire et achève le sauvetage de tous ceux qui restent à bord.

 

Je m’assure personnellement que personne ne reste sur le pont ni dans le faux-pont militaire, et appelant à haute voix par le panneau de descente, je fais la même constatation dans les emménagements passagers de l’arrière. J’embarque à mon tour sur PIQUE et prie le commandant de me laisser sur les lieux avec CURIEUSE pour tenter de remorquer LE GARD s’il ne coule pas. Un quart d’heure plus tard des craquements prolongés se font entendre. Le navire, que la torpille a coupé en deux, achève de se séparer en deux tronçons qui se lèvent verticalement et coulent ensemble lentement. Il est 21h30. Je fais mon possible pour m’assurer du nombre du nombre de passagers et d’hommes d’équipage sauvés par PIQUE et CURIEUSE. J’ai la satisfaction de constater que leur nombre est très grand. Une vingtaine au plus sont manquants.

 

PIQUE prescrit à CURIEUSE de patrouiller encore une heure sur les lieux de l’accident et fait route pour rejoindre ALSACE qui s’est éloigné à toute vitesse au moment du torpillage.

 

Le 27 à 04h30, nous entrons dans le port d’Alger.

 

J’avais embarqué à Marseille 399 passagers dont 388 militaires et 11 civils. L’équipage se composait de 49 hommes.

 

Les routes prescrites par la Marine ont été scrupuleusement suivies et la navigation s’est effectuée en zigzag. La veille a été des plus vigilantes et toutes les précautions prescrites avaient été prises. 

 

Je tiens à signaler la belle conduite de Monsieur Heurtel, second capitaine, qui m’a très utilement assisté jusqu’à l’évacuation du dernier homme et qui a fait preuve d’un sang froid et d’un courage digne des plus grands éloges. Monsieur Lemerle, lieutenant, Monsieur Le Guillou, TSF, se sont multipliés et ont fait preuve de dévouement et de courage, ainsi que les matelots Leroux et Régis, et le mousse Duguet.

 

Enfin, je ne puis passer sous silence la manœuvre hardie de PIQUE qui nous a accostés malgré une gite de 30° et l’imminence de l’engloutissement du navire. C’est grâce à cette manœuvre que l’on n’a pas eu plus de victimes à déplorer.

 

Fait à Alger le 27 Mai 1918