Dundee "Quatre Frères"  G 932

 

Détruit, par fait de guerre, le 16 septembre 1917

 


 

 

 

Deux petits voiliers, « Les Quatre-Frères » et « Le Deux-Jeanne», ce dernier armé, étaient partis le 9 septembre des Sables-d'Olonne pour la pêche au thon. Toute une semaine, ils restèrent ensemble, puis le temps étant devenu brumeux, ils se perdirent de vue. Le 16 au matin, les hommes du Deux-Jeanne entendirent le canon dans la direction où devaient se trouver leurs camarades, à une dizaine de milles. Le patron ordonna de se préparer au combat et fit route vers le lieu de l'action. Une demi-heure plus tard, on aperçut la mâture du Quatre-Frères qui s'abîmait dans les flots. Le sous-marin ennemi se tenait non de loin de là et ouvrit le feu sur le Deux-Jeanne, qui approchait toujours. Celui-ci répondit en tirant lentement, car la houle masquait le but par moments. Après une heure de combat, le sous-marin renonça à la lutte et disparut. »

 

 

<<<   L’Ouest-Eclair – éd. de Caen – n° 6.546 du Mercredi 10 octobre 1917

"Quatre-Frères" est un dundee armé à la pêche aux thons de 52,8 tx construit en 1908 à Paimpol, immatriculé dans le quartier de Groix, son port d'attache   G. 932

 

 

En 1908, lors de la mise à flot de ce dundee groisillon "Quatre-Frères", les copropriétaires étaient :

- Pour 3/8ème, Jean-Marie ADAM, époux de Marie-Françoise DROAL, domiciliés à Groix dans le village de Kerlo Bihan ;

- Pour 2/8ème, Guérin ADAM, frère aîné du précédent, marin pêcheur, époux de Louise TROMELEUE, domiciliés à Groix au bourg de Loctudy ;

- Pour 2/8ème, Alexandre ÉTESSE, armateur et entrepreneur de maçonnerie, époux de Marie Françoise LE NÉVÉ, qui héritera des parts de son marin après le décès de celui-ci en 1916) domicilié à Groix, au bourg de Loctudy ;

- Pour 1/8ème, Marie-Joseph YVON, veuve de Jean-Marie LE ROUX, domiciliés à Groix au bourg de Loctudy.

 

 

 

 

En septembre 1917, l'équipage du "Quatre-frères" est le suivant;

* Guérin ADAM, patron et copropriétaire, 52 ans, né le 31 mars 1865 à Groix (Morbihan), au lieu-dit Kervédan, fils de Jérôme ADAM °1829, pilote-lamaneur, et de Marie Anne DIBERDER °1833, époux de Jeanne Marie TROMELEUE °1875 à Port-Lay  avec laquelle il a contracté mariage à Groix, le 27 mai 1895, domicilié au bourg de loctudy, inscrit au quartier de Groix, mle n° 846

* Jean Victor, dit Victor, BONNEC, matelot, 27 ans, né le 23 février 1890 à Groix au lieu-dit Kerdurand, fils de Victor Marie °1862 et de Marie Anne SALAHUN °1861, célibataire, inscrit au quartier de Groix, mle 1900

* Laurent Marie CARTON, matelot, 56 ans, né le12 mai 1861 à Groix dans le lieu-dit Lomener, fils de Guillaume °1813 et d'Yvonne ASSELIN °1819, époux d'Adelle Josse °1860 avec laquelle il a contracté mariage à Groix, le 8 novembre 1892, domicilié à Lomener, inscrit au quartier de Groix, mle 690

Charles Jean GUÉGAN, matelot, 61 ans, né le 11 octobre 1856 à Groix dans le lieu-dit Locmaria, fils de Gildas °1822 et de Marie Rosalie TONNERRE °1820, époux en seconde noce de Marie Mélanie RAUDE °1853 avec laquelle il a contracté mariage à Groix, le 5 novembre 1890, domicilié à Lomener, inscrit au quartier de Groix, mle 835,

vue du "Quatre-Frères", vers 1912/1913

 

Jean Marie ADAM, novice, 17 ans, né le 20 janvier 1900 à Groix dans le lieu-dit kerlo-bihan, fils de Jean Marie °1869 et de Marie Françoise DROAL, °1880, neveu du patron, célibataire, inscrit au quartier de Groix, mle 1708

Louis Noël ADAM, mousse, 13 ans, né le 24 février 1904 à Groix dans le lieu-dit kerlo-bihan, fils de Jean Marie  °1869 et de Marie Françoise DROAL, °1880, frère du précédent, neveu du patron, célibataire, inscrit provisoire au quartier de Groix.

 

 

 

Comme le rapporte l'article de Ouest Éclair cité plus haut  "Quatre-Frères" a été canonné, puis coulé au moyen de charges explosives, à 240 milles à l'ouest de  l'île d'Ouessant, par le sous marin U-31 (Kapitänleutnant OL Kurt Siewert ou Stievert) le 16 septembre 1917.

 

 

 

                                          représentation du sous-marin allemand U31 >>>

 

Témoignage de Joseph BARON, patron du "Deux-Jeanne"

 

Monsieur l’Administrateur, Je viens porter à votre connaissance que le 9 Septembre au matin, le dundee "Quatre-Frères", n° 932 de Groix, a quitté le port des Sables d’Olonne, nous accompagnant pour la pêche au thon. Pendant 7 jours, il nous a suivis et le 16 Septembre à 07h dans le N70W d’Ouessant, à 290 ou 300 milles environ (point estimé) ce dundee était à 10 milles au vent à nous, par le travers quand il a été canonné et coulé par un sous-marin ennemi. Nous courions tribord amures vent de SW, petite brise, mer peu houleuse, vitesse 5 nœuds. Dès que nous avons entendu les coups de canon, nous avons mis au poste de combat et pris l’allure au plus près pour nous rapprocher du feu. Mais il était impossible de voir le sous-marin. A 08h nous avons distingué une petite masse noire qui se dirigeait sur nous. Il y avait de la houle et on ne le voyait pas très bien. Nous avons préféré attendre un moment avant d’ouvrir le feu afin d’être plus sûr de notre but. A 08 h 30, c’est lui qui a tiré 3 obus à quelques minutes d’intervalle, qui sont tombé à 50 m de nous,environ. L’ennemi se trouvant à 5 000 ou 6 000 m de nous, nous avons ouvert le feu et avons combattu jusqu’à 09 h 30. Soit nous l’avons coulé, soit il a plongé de lui-même. Il y avait un quart d’heure qu’il ne tirait plus quand il a disparu et nous tirions toujours jusqu’à complète disparition. A 09 h 45, nous avons viré de bord pour être bâbord amures au plus près et avons croisé dans les parages du combat jusqu’au soir. Nous n’avons rien trouvé, ni du "Quatre-Frères", ni du sous-marin et avons couru au Sud toute la nuit, puis sur la terre au matin.

 

Rapport de la commission d’enquête sur les agissement du "Deux Jeanne"

Elle reprend tout le déroulement des faits et ajoute :

"Deux Jeanne" était alors armé d’un canon de 57 mm américain (qui sera plus tard remplacé par un 65 mm)

 

Attitude excellente des 6 hommes d’équipage et du mousse. Le mousse lui-même, un enfant de 14 ans, n’a pas voulu se mettre à l’abri.

Tir lent à cause de la houle, mais le pointeur (François LE FLOCH) du "Deux Jeanne" a eu le sentiment de bien encadrer son adversaire. Après une heure de combat, le sous-marin cesse le feu puis disparaît sans que l’on puisse affirmer qu’il a été touché. "Deux Jeanne" reste maîtresse du champ de bataille et ce vaillant petit bâtiment croise jusqu’à la nuit pour tenter de retrouver les naufragés de "Quatre-Frères".

Tiré 28 coups de canon à la vitesse d’un coup toutes les 3 minutes. Le sous-marin avait environ 50 m de long et est toujours resté à 5 000 m. Il ressemblait aux sous-marins du type UC 18 à UC 48 du tableau de Juin 1917. Le sous-marin n’a sans doute pas été coulé, mais cette action du capitaine de "Deux Jeanne" devrait être largement publiée parmi les pêcheurs. Elle fait ressortir l’efficacité de l’armement quand il est mis dans des mains résolues et l’avantage qu’il y a pour les pêcheurs non armés à ne pas s’écarter de ceux qui le sont.

On a su par la suite que l’équipage de "Quatre-Frères" avait été recueilli et débarqué en Angleterre.

Le patron BARON et son équipage ont fait preuve de résolution et de courage en recherchant le combat avec un ennemi supérieur et en le forçant à abandonner la lutte.

 

Rapport du Patron du "Quatre Frères", Guérin ADAM

 

Nous avons quitté Les Sables d’Olonne le 9 à 12h par faible brise, accompagné du dundee "Deux Jeanne", et avons commencé à pêcher les 14 et 15. Le 16 Septembre 1917, quand nous avons été attaqués par un sous-marin à environ 240 milles dans l’Ouest d’Ouessant, nous avions une centaine de thons à bord.

A 08h le 16 Septembre, nous entendons deux coups de canon, puis un 3ème. C’était un sous-marin qui continuait à tirer sur nous. Nous avons mis nos embarcations à l’eau avec 3 pains, de l’eau et un compas ainsi que nos ceintures de sauvetage. Nous nous éloignons le plus vite possible car il continuait à tirer sur le bateau. Mais il tirait seulement sur la voilure afin de l’arrêter et de pouvoir le piller à son aise. Quand ils arrivent près du bateau, ils montent à bord, prennent tout ce qu’ils peuvent et posent une bombe pour le faire sauter. Ils quittent le bateau à peu de distance de nous et nous tirent deux bombes alors que nous nous éloignons le plus vite possible. Nous avons vu le bateau couler et avons parcouru 18 milles avec l’embarcation quand nous aperçûmes deux patrouilleurs américains qui escortaient un vapeur de 16 000 t faisant route vers l’Amérique, et qui nous recueillirent à 14h à 222 milles dans l’Ouest d’Ouessant. Ils nous ont déposés à Queenstown le 18 Septembre.

Signé Victor BONNEC (sous la dictée d'ADAM Guérin, souffrant).

L'attaquant était un grand sous-marin d’une centaine de m de long avec un blockhaus rectangulaire, du type SCOUT. Les marins n'ont pas vu le canon. Mais il devait être de gros calibre car les patrouilleurs américains ont d’abord pris le youyou pour un sous-marin et ont tiré deux coups sur lui. Les gerbes étaient identiques à celles de l’Allemand. Or les Américains avaient des canons de 105 mm. Ces patrouilleurs de 100 m de long étaient

Voici la silhouette de ce sous-marin

Image



Rapport de l’officier enquêteur

Le bateau avait ses lignes dehors. Le sous-marin fut aperçu dans le NNE et plongea quand il fut à 1 mille du bateau. L’embarcation est revenue vers le bateau et au bout d’une demi-heure le sous-marin a réapparu et leur a intimer l’ordre de s’éloigner. Le canot est alors reparti au large. Aucun des 11 coups du sous-marin n’a porté. Il a accosté directement le voilier. Le dundee a coulé 5 minutes après l’amorçage des bombes sous les yeux de l’équipage, à 09h40.

A la fin de l’attaque, le dundee "Deux Jeanne" est apparu à l’horizon.


Rapport de la commission d’enquête


Elle reprend tous les éléments de l’enquête et conclut :
Le patron et l’équipage se sont conduits correctement et ont même fait l’effort de tenter de revenir à bord après la 1ère attaque du sous-marin. La commission ne propose ni sanction, ni récompense, mais donne un avis favorable pour le maintien de la faculté de commander pour le patron Guérin ADAM.

 

 

L'Équipage du "Deux Jeanne" lui, sera honoré pour son attitude courageuse du 16 septembre 1917

 

Joseph BARON, est honoré de la Médaille militaire

"A fait preuve d’énergie et d’un courage remarquable en luttant contre un sous-marin plus fortement armé qu’il a forcé à abandonner la lutte (Croix de Guerre)"

 

François LE FLOCH, est cité à l'ordre de l'Armée

"Pour l énergie et les qualités de pointeur dont il a fait preuve en forçant un sous-marin à plonger."

 

L'équipage reçoit un témoignage de satisfaction (T.O.S.) du Ministre.

"Pour la belle attitude de son équipage lors de la lutte contre un sous-marin qu’il a forcé à plonger le 16 Septembre 1917".

      Journal officiel  du 13 novembre 1917,

 

 

Réponse du chef de quartier à Mme Etesse, qui semble être en difficulté devant les autorités maritimes, celles-ci considérant que le dundee "Quatre-Frères" n'a pas respecté les consignes de sécurité et risquant de voir les indemnités refusées...

"Madame, en réponse à votre lettre du 28 novembre 1917, j'ai l'honneur de vous faire savoir que je ne puis vous délivrer le certificat demandé, attestant que le dundee "Quatre Frères", torpillé (sic) le 16 septembre, avait quitté le port muni des ordres et des instructions relatifs à la navigation. Ce dundee devait en effet, quitter les Sables d'Olonne le 9 septembre, et l'Administrateur du quartier se refusa à délivrer le certificat en question, le patron du "Quatre Frères" n'ayant pas passé par la Direction maritime de ce port. Mais, de l'enquête à laquelle je me suis livré, il résulte que le dundee "Quatre Frères" pourrait, semble-t-il, être considéré comme se trouvant en règle pour les raisons suivantes : le dundee avait quitté Groix avec le convoi du 24 août, muni des ordres et des instructions nécessaires; le convoi fut dispersé par le coup de vent du 27 août et "Quatre Frères" gagna les Sables où il fut rejoint quelques heures après par le dundee armé "Deux Jeanne". Les deux patrons se mirent d'accord et celui des "Deux Jeanne" qui était en sursis spécial, télégraphia à Groix. Sur l'avis qu'il reçut que le convoi partirait de Groix le 10 septembre au soir, ils quittèrent les Sables le 9 dans l'intention de venir s'y joindre, mais pris par le calme au large de Belle-Ile, ils pensèrent n'atteindre Groix qu'après le départ et décidèrent de rejoindre le convoi sur les lieux de pêche, et dans cette intention, ils gagnèrent le large, le "Quatre Frères" protégé par le "Deux Jeanne" qui était muni d'un canon de 57mm. Mais ils ne rencontrèrent pas le convoi, qui, pour divers motifs, ne quitta Groix que le mardi 11 au soir, et le dimanche vers 5 h, ils furent attaqués par un sous-marin qui coula le "Quatre Frères". Je souhaite que ces explications vous aident à solutionner cette affaire au mieux de vos intérêts et vous prie d'agréer, Madame, l'expression de ma considération distinguée".

 

 

Dans cette "affaire" du 16 septembre, il n'y a pas eu de pertes humaines, seul le dundee "Quatre Frères" a été détruit. Les hommes s'en tirent avec une belle frayeur.