le "Kléber" blessé, mais victorieux

 

Ces hommes sont :

Ernest LE FAUVE, maître au cabotage, capitaine I.M. à Granville,

M.P.F. décédé le 8/09/1917

Théophile PLESSIX , second-capitaine, I.M. à Saint-Malo,

né le 15 juin 1889 à Saint Lunaire (35) M.P.F. décédé le 8/09/1917

Paul MONNIER, maître d’équipage, né 28 décembre 1865, à Noirmoutier I.M. à Noirmoutier

Pierre NOURY, matelot, I.M. à Dinan

LE TOUZE matelot, I.M. à Granville

Eugène MAFFART, matelot, I.M. à Saint-Malo, blessé le 8/09/1917

Augustin GUILLO, matelot, I.M. à Binic

Henri TRAVERS, matelot, I.M. à Cherbourg, gravement blessé le 8/09/1917

Eugène SICARDIN, matelot, I.M. à Dinan

Jean Paul CHAPELAIN, matelot, I.M. à Tréguier

Jean JAIN, matelot fusilier breveté du 2ème dépôt de Brest

Paul BAZILE, matelot s.s. du 1er dépôt , inscrit à La Hougue.

 

un sous-marin allemand UC 2

 

Le sous-marin court vers les canots, les accoste, prend sur son pont l'équipage du canot et envoie le doris se faire couler ailleurs. Tantôt en français, tantôt en anglais, il demande à ses otages leur nationalité, le nom, la route et la cargaison de leur navire. Puis, ironiquement, il montre le "Kléber" d'un revers de pouce et plaisante.

Les marins affirmèrent au commandant que personne de vivant ne restait sur le "Kléber", que les derniers coups avaient été tirés par les canonniers blessés, à bout de force, et que, depuis, tous deux avaient été certainement tués. Ils offrirent leur vie en gage. Le commandant réfléchit et fit tirer cinq coups sur le "Kléber" sans réponse.

Les otages étaient anxieux, ou le "Kléber" atteindrait le sous-marin et ils périraient sous des obus français, ou le "Kléber" manquerait son coup et ils seraient tués rageusement par l'ennemi. Monnier, aplati contre le bastingage, son canon chargé, attendait. Il vit ses hommes debout sur le pont; il se crispa, toutefois il bondit sur sa pièce et fit feu. Les obus battirent l'eau, autour de la coque grise et la touchèrent à peine. Mais les ennemis se précipitèrent dans le capot et s'enfoncèrent si affolés qu'ils oublièrent sur le pont un des leurs. Jetés à la mer, les marins français réussirent à se jucher dans le canot qui suivait à la traîne. Un jeune matelot, Secardin, ne savait pas nager. L'Allemand le sauva. Les Français, par gratitude et le voyant sans défense, le sauvèrent à leur tour .

 

Cependant, la nuit tombait: le trois-mâts se hâtait vers la terre, lâchant des bordées dès que le périscope émergeait. Quand il fut hors de portée, le sous-marin sortit et fila vers le canot. Il y retrouva son homme, le reprit et, en échange, laissa la vie sauve aux quatre Français.

 

Le canot et le doris abordèrent à l'aube sur la côte de Groix. Le "Kléber", lui, courait sur la terre, mais "à l'estime". Heureusement, Monnier aperçut les quatre lueurs successives du phare de Pen-Men et put se réfugier derrière l'île. Il descendit les ancres, pansa les blessés, allongea près du second le corps du capitaine, les recouvrit pieusement du pavillon, puis il tourna toute la nuit la corne à brume pour appeler les camarades. Dès qu'il fit jour, il hissa les signaux de détresse. Le sémaphore des Chats le signala, puis, vers 7 h, deux remorqueurs de Lorient  amenèrent à Port-Louis ce voilier en loques.

 

Les trois victimes : de gauche à droite :

Ernest Le Fauve, capitaine, Théophile Plessix, second, et Henri Travers, gravement blessé.

 

 

extrait de la "Dépêche de Brest" du 5 octobre 1917

 

extrait du J.O. du 5 octobre 1917

 

L'affaire du "KLEBER", le 8 septembre 1917, ne toucha pas directement les groisillons, mais ils en furent témoins

 

Le "KLEBER", est un trois-mâts goélette cap-hornier, construit à Saint-Malo par le chantier Gautier, en 1907 pour Jos Chevallier, armateur à Cancale.

 

Il fait 277 tonneaux de jauge brute, 214 tx de jauge nette et il mesure 36 x 8,25 x 3,65 mètres.

 

D'abord armé à Cancale, à la Grande Pêche à la morue autour de Terre-Neuve, il s'inscrit au cabotage à partir de 1915.

 

Le "KLEBER" a été armé, fin 1916, d’une pièce de 47 mm. Il est monté par 10 hommes d’équipage y compris le capitaine auxquels s'ajoutent deux marins de la Marine de guerre, pour servir la pièce d'artillerie.

L'équipage survivant, de gauche à droite :

Chapelain, Jain, Bazile, Maffart, Monnier, Le Touze, Guillo, Secardin, Noury

 

 

Le trois-mâts goélette "Kléber" amenait d'Angleterre à la Rochelle une cargaison de 400 tonnes de houille. Il courait le 7 septembre au large des côtes de Bretagne sud; il y taillait de la route, vent arrière et toutes voiles dehors, quand, vers 5 h 35, un homme aperçut très loin devant une sorte de tour... C'était un sous-marin! Trois hommes du bord l'affirmaient. D'ailleurs la discussion fut vite close... par un éclatement brusque d'obus. Un autre siffla, puis un troisième. Aussitôt, le capitaine fit lofer sur bâbord et la pièce de 47 répondit coup sur coup. Surpris, le sous-marin préféra ne pas insister et disparut.

 

Le "Kléber" s'en crut quitte pour l'émotion et quelques éclaboussures.  Mais on se méfiait. Soudain, après une quarantaine de minutes, un obus siffla qui vint broyer une partie des bastingages. La lutte recommençait.

Ils pouvaient encore, pour lui échapper, sauter dans les canots et se sauver. Mais tous choisirent le parti le plus héroïque : sombrer ou vaincre et restèrent à bord. Les projectiles arrivaient d'arrière. Le sous-marin avait émergé à contre-jour, les hommes du Kléber, éblouis, ne visaient qu'avec d'extrêmes difficultés la tourelle noire et lointaine. Et puis, le miroitement de la mer irradiée empêchait tout réglage du tir. Les projectiles arrivaient sur les mâts et le pont du "Kléber" avec une régularité désespérante. Le capitaine tomba le premier, criblé d'obus à la tête et au ventre. La mitraille blessa cinq hommes autour de lui. D'autres obus, éclatés dans les agrès, firent tomber les focs. Des morceaux de bois volaient, et là-haut, dans la misaine dont les poulies cassaient, on voyait s'élargir de grands trous dans les voiles. Pendant plus d'une heure, ceux du Kléber jetèrent intrépidement leurs petits obus de plomb contre cette forteresse d'acier  Un projectile s'enfonça dans l'amoncellement des caisses à munitions. Il saute, disloquant une partie de la dunette. Par miracle, rien n'éclate. Le second fait descendre les canots à la mer, et, tandis que les canonniers s'obstinent à leur besogne, il désigne cinq hommes pour embarquer dans le canot, deux pour le doris et leur ordonne de partir, tout en restant à bord. Finalement le maître d'équipage Monnier reste aussi à bord.

 

le maître d'équipage Monnier

 

Le 3 octobre 1917, le Président de la République vient à bord avec le ministre de la Marine et un cortège chamarré. Il embrasse tous les marins stupéfaits ; il épingle sur leur vareuse de laine la Légion d'honneur, des médailles militaires et des croix de guerre ; il les appelle des héros. Puis, au nom de toute la France, il auréole de gloire leurs noms inconnus...
Le capitaine : Le Fauve, tué ; le second : Plessix, tué ; le maître : Monnier; le chef de pièce: Jain; le canonnier: Bazile, blessé; les matelots: Chapelain, blessé; Nouty ; Le Toazé; Maffard, blessé; Travers, blessé; Sécardin, blessé, et le cuisinier Guillo "ont bien mérité de la Patrie".

 

extrait du J.O. du 5 octobre 1917

 

 

Ernest LE FAUVE et Théophile PLESSIX furent élevés au grade de chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume en 1919