Mort pour la France

André Louis MILLOC'H  (1892/1917)

corvée de pluches

maniement d'un canon de 47m/m

 

Fils naturel de Marie Séraphine MILLOC'H, une journalière groisillonne née en 1868, André Louis MILLOC'H est né le 15 avril 1892 à Lorient. Sa mère se marie avec un marin-pêcheur groisillon veuf de 38 ans, Charles Marie VAILLANT, en août 1895 qui avait déjà trois enfants vivants. Il sera élevé par ce beau-père, au milieu d'une famille recomposée de six ou sept enfants.

 

Après quelques années passées sur les bancs de l'école, il commence son apprentissage de marin-pêcheur, en s'embarquant comme mousse sur les dundees-thoniers de Groix, vers l'âge de 11/12 ans. Vers 1907, il dévient novice, puis vers mai / juin 1910, il est inscrit définitif sur le registre des gens de mer du quartier de Groix sous le matricule n° 2120.

 

Il est levé vers juin 1912, afin d'effectuer son service militaire. Dans un premier temps il est affecté au 3ème dépôt des équipages de la flotte à Lorient.

 

André Louis MILLOC'H décède le 12 juillet 1917, en mer au large de la Calabre (Italie)

 

Un demi-frère Théodule VAILLANT meurt, disparu en mer suite au torpillage du "Danton" le 19 mars 1917.

 

Un beau-frère Joseph Marie GOURONC époux d'une demie-soeur Mélanie VAILLANT, meurt noyé en mer le 25 juin 1917 suite à l'explosion sur une mine du "Jules"

 


 

A la déclaration de guerre, en août 1914, André Louis MILLOC'H est âgé de 22 ans.... Il est au 3ème dépôt des équipages de Lorient.

 

Par la suite, il est affecté à un bâtiment ou un service à terre, de l'armée navale, stationné sur l'île de Corfou (Grèce). Il est "aide-chauffeur".

 

Lorsque la "Berthilde" est armé en septembre 1916, André MILLOCH est affecté à ce bâtiment.

 

deux vues du "Berthide", pavoisé aux couleurs de la France en 1917

 

 

Voici ce qu'en dit le L.V. OHL, commandant du navire:

 

" Bateau pris aux Allemands, saboté par eux, il fut réparé à Salamine et vide, sans matériel d’armement, sans outillage, sans matières consommables, sans essais, pouvant donner 13 nœuds mais ne parvenant pas à en dépasser 10 sans provoquer des échauffements aux tiges de pistons, il fut envoyé à Corfou où je remis mon rapport de prise de commandement en demandant à être envoyé dans un arsenal (Bizerte ou Malte) pour en faire l’armement. Sur ordre du Commandant en Chef, la base d Corfou et les bâtiments de l’Armée firent tous leurs efforts pour armer "Berthilde" et le mettre en état de naviguer, mais sans y réussir car, lorsque le 11Juillet je reçus la mission de me rendre à Bizerte pour prendre la coque du "Phlegeton", une vieille canonnière cuirassée de 1892 rayée du service, et la ramener à Corfou où elle devait servir de but aux bâtiments de l’Armée Navale, je me trouvai dans les conditions suivantes :

- Equipage pris dans l’armée navale et ignorant presque complètement ce qu’était un service de veille

- Pénurie complète de matériel de navigation: pas de montre, pas de chronomètre, pas de cartes, pas de longue-vue et une seule paire de jumelles à bord.

- A l’avant une pièce de 90 de guerre avec une vitesse de tir évaluée aux essais de Salamine à 1 coup par minute avec 7 hommes nécessaires à sa manœuvre et à l'arrière une  ridicule "pétoire" de 47mm .

 

sous-marin autrichien 04 dans la baie de Pola (actuelle Croatie)

 

Il est alors armé comme bâtiment de servitude et de sauvetage à Corfou. Moins d'un an après, le 12 juillet 1917, il est torpillé par le sous-marin autrichien , le U 4 dans le golfe de Squillace en Adriatique au sud de l’Italie,  par 38°35N et 16°50E, à 20 milles dans le NE du cap Stilo.

 

Le sous-marin U4 autrichien a une longueur de 40 à 50 m et un faible déplacement (environ 300 tonnes). Il a un kiosque, et sur toute la longueur jusqu’à l’arrière une superstructure de 20 cm de hauteur et de 1m de largeur . Devant le kiosque un canon semblant de 57 mm fixé à demeure. Ce sous-marin portait l’indication U4 sur le kiosque, en lettres de 30 cm de hauteur. Il a deux périscopes de même longueur sortant du kiosque et un mât TSF rabattu sur le pont. Le sous-marin est vert foncé avec kiosque gris clair. Il est muni d’une barre d’assiette à l’extrême arrière, laquelle émergeait. Il possède 2 tubes lance-torpille à l’avant situé à 50 cm sous la ligne de flottaison quand le sous-marin était en surface.

 

Le sous-marin austro-hongrois U4 a été commandé pendant une bonne partie de la guerre par le LSL Rudolf SINGULE qui est l'un des sous-marins les plus prolifique en ayant coulé 12 navires soit 17205 tonnes.

 

Rudolf SINGULE est né le 8 avril 1883 à Pola (Autriche) (décédé le 2 mai 1945 à Brno en actuelle Tchéquie).

Rudolf Singule de la marine autrichienne

 

Les faits, les circonstances...

 

Pourtant, on s'avise de lui confier une mission aussi "importante" qu'"urgente". Sur ordre venu de l’État-major, on se hâte de bricoler vaille que vaille la machine et d'armer le navire d'une ridicule pétoire de 47mm à l'arrière et d'un vieux canon de 90mm à l'avant, capable, avec la participation active d'une demi-douzaine de servants, de tirer dans les meilleurs conditions un coup par minute.

 

On pose sur une table un émetteur-récepteur radio Morse provisoire, alimenté par un moteur à essence. On embarque quelques cartes, fournies par différentes unités stationnée à Corfou, quelques officiers mariniers à la tête d'un équipage pris à gauche et à droite sur d'autres navires (presque tous marins aguerris cependant) dont un radio. Il y a même un maître d'hôtel pour la table du Commandant. Le pauvre homme a permuté avec un collègue la veille du départ. Au total 51 hommes auxquels viendra en dernière minute s'ajouter un passager, un matelot qui doit rejoindre son navire, la "Démocratie" à Bizerte.

 

Pris par le temps, car la mission est vraiment "très urgente", on ne termine pas l'installation du poste d'équipage ni des cuisines et en particulier celle du four à pain, pourtant indispensable à une époque où cette denrée est la base de la nourriture. Pour couronner le tout, on commet, malgré l'insistance du Commandant, deux fautes irréparables, on ne fournit au navire qu'une seule paire de jumelles et on ne lui fournit pas de chronomètre ! Sans doute n'y en a-t-il aucun de disponible dans tout l'arsenal de Salonique!

 

Camille OHL râle, tempête, écrit. Rien n'y fait. Pour avoir enfin la paix, on finit par lui promettre qu'il obtiendra son chronomètre dès son retour de mission. Dépêchons ! Dépêchons ! Puisqu'on vous dit que le temps presse ! La "Berthilde" doit appareiller en l'état, au plus vite, pour une mission cruciale: "se rendre à Bizerte, en Tunisie, pour y prendre en remorque et ramener jusqu'à Salonique une...citerne !"

 

Berthilde" appareilla, malgré les efforts des services de ce port pour le remettre en état, dans des conditions de préparation très dégradées de Corfou, le mercredi 11 Juillet à 18h sous pavillon français mais portant toujours à la poupe le nom de son ancien port d'attache, Hambourg, appareille pour une traversée en solitaire de plus de 800 miles nautiques, avec ses deux pétoires. Son équipage est de 53 hommes, dont André Louis MILLOCH, matelot de 3ème cl. sans spécialité. Après avoir doublé Paxos vers 21h, il a fait route au S65W sur Messine jusqu’au lendemain 07h. Venu alors au S75W, le commandant, le L.V. OHL, n'est déjà plus très sûr de sa position. Il peut se situer en latitude, mais comment faire sans ce sacré chrono pour se positionner en longitude ? Il navigue donc à l'estime et, à 7 h, décide de se recaler dans l'ouest, craignant d'avoir dérivé sous l'effet d'un vent assez soutenu venu du Nord-Ouest pendant la nuit. Il fait faire route au Sud-75-Sud.

 

On marche ainsi à huit nœuds et demi jusqu'au changement de quart de seize heures. Il fait beau sur l'Adriatique. La quasi-totalité de l'équipage est sur le pont. La mer miroite sous un ciel immaculé. Le vent est tombé. Pour un peu, on se croirait en croisière. Le Commandant et le second, sur la passerelle, échangent tranquillement les consignes. Les hommes bavardent, fument, avant de rejoindre qui son poste qui son hamac. La guerre est bien loin. La «Berthilde» taille lentement sa route sous un immense panache de fumée noire. Ce 12 Juillet à 16h au moment où le bâtiment se trouvait à 20 milles à l’Est de la pointe Stilo (côte Sud de l’Italie), le sillage d’une torpille fut aperçu à très courte distance, une quinzaine de mètres seulement, par bâbord sur l’arrière du travers. Le sous-marin a lâché une seule torpille. Elle était faiblement immergée. Le commandant OHL, qui se trouvait sur la passerelle eut à peine le temps de s’écrier «Nous sommes torpillés», que l’explosion se produisit. Il commanda alors : «Mes enfants, aux embarcations et paré à tirer au canon si vous voyez le sous-marin».

 

La malheureuse « Berthilde » est atteinte au pire endroit, presque à l'arrière, au niveau du tunnel de l'arbre d'hélice, ce qui la stoppe immédiatement et entraîne une énorme voie d'eau. Elle s'enfonce aussitôt par la poupe (arrière) sans s'incliner, entraînant avec elle les servants du canon de 47mm, tués sur le coup, le maître d'hôtel qui préparait l'en-cas du Commandant, une partie des soutiers et des chauffeurs, puis deux hommes qui s'efforçaient de mettre la baleinière de sauvetage à l'eau, puis le Second, sans doute tué sur la passerelle par la chute de la cheminée avant, puis les servants du canon de 90mm, demeurés sur ordre à leur poste... Pendant que le navire s’enfonçait, on entendit un bruit sourd, semblant provenir d’une explosion de chaudière, et l’on vit le mât avant et les cheminées tomber. C’est ainsi que fut blessé le 1er maître de timonerie Robelet, actuellement à l’hôpital en Italie et qui était de quart sur la passerelle, et que fut probablement tué l’Enseigne de Vaisseau Maisonneuve, second du bâtiment.

 

Aucun signal de détresse ne put être envoyé par TSF, le moteur à explosion n’ayant pu être mis en marche. Les hommes n’eurent que le temps de se munir de leurs ceintures de sauvetage et de lancer quelques madriers à la mer, puis de se jeter à la nage pour éviter d’être entraînés dans le remous du navire qui coulait.

 

Un semblant de chance fait que la "pétrolette", l'une des annexes du bord, a glissé et flotte à proximité du désastre. La baleinière, elle, surnage retournée et détruite. Les survivants s'entassent dans la seule embarcation demeurée à flot, avec six blessés, dont un gravement atteint: le matelot passager. Parmi eux se trouvait le commandant OHL qui prit la direction du sauvetage et fit recueillir tous les hommes qui surnageaient dont plusieurs blessés.

 

Pendant que la "pétrolette" faisait des recherches, le sous-marin émergea près des épaves et s’approcha d’elle. Il montra son pavillon autrichien tenu à la main, puis il l’accosta et un officier du sous-marin posa en bon français les questions suivantes :

- « Quel est le bateau que nous venons de torpiller ? » - « Berthilde »

- « Aviez-vous la poste ? » - « Non »

- « D’où venez-vous ? » - « De Corfou »

- « Où allez-vous et quoi faire ? » - « A Bizerte, chercher une citerne »

- « Quoi ! Mais quel est ce bateau ? » - « Un bateau de sauvetage »

- « Avez-vous des blessés ? » - « Oui »

L’officier fit alors monter à son bord le 1er maître Robelet et le matelot sans spécialité Canessa qui étaient les plus grièvement blessés pour leur faire des pansements sommaires. On les remit ensuite dans l’embarcation.

 

Le commandant du sous-marin demanda alors qui était le capitaine de "Berthilde" et, comme on ne lui répondait pas, il renouvela sa question, et le commandant OHL, qui pourtant avait enlevé son veston et sa casquette, se présenta. Il lui fit signe de monter sur le sous-marin. Il prit ensuite l’embarcation à la remorque et la conduisit jusqu’à 5 milles de la pointe Stilo où il l’abandonna. Au moment où il s’éloignait emporté par le sous-marin, le commandant OHL cria : « Courage mes enfants, vous n’êtes plus qu’à 5 milles de terre ».

 

Vers 20h, un peu avant la nuit accosta à l’aviron, la "pétrolette étant tombé en panne, sur la plage de Monasterace où les 27 survivants qu’elle contenait débarquèrent et furent recueillis avec empressement et traités avec la plus grande sympathie par les douaniers italiens et le personnel du sémaphore. Les 6 blessés furent dirigés presque aussitôt sur l’hôpital de Melito di Porto Salvo.

 

Les 21 valides furent dirigés le lendemain sur Reggio où le consul de France les fit habiller le mieux possible. Le 15 Juillet ils prirent le train pour Tarente et embarquèrent le lendemain sur "Numidia" pour rentrer sur Corfou. Etant donné les circonstances dans lesquelles s’est perdue "Berthilde", tous les documents qu’elle possédait ont coulé avec elle et qu’aucun d’eux n’a pu tomber dans les mains de l’ennemi.

 

Rhabillés, soumis à l'interrogatoire de rigueur, ils sont aussitôt dispersés dans d'autres unités de la Flotte, sans même bénéficier d'un seul jour de permission. Entretemps, le 18 Juillet, le malheureux matelot-passager Canessa est mort des suites de ses blessures à l'hôpital de Milito de Porto Salvo, en Calabre.

 

Il fallut au tout début de 1920 un courrier véhément du Commandant OHL, affecté alors au pilotage du port de Saïgon, pour qu'elle ressorte un moment de l'oubli. Ce qui n'arrangea pas les affaires de l'Amirauté ni celles du ministère de la Marine ! Les conditions dans lesquelles le navire avait pris la mer étaient en effet pour le moins discutables. Mais il y avait pire: la mission ! Aller chercher a travers l'Adriatique et la Méditerranée, à huit cents miles de distance, une citerne ? N'importe quoi ! La mission était encore plus absurde, tellement absurde que l'on se hâta de refermer le dossier.

 

plage de Monasterace ou débarquèrent les survivants

 

 

 

André Louis MILLOC'H décède le 12 Juillet vers 16h15, dans le naufrage du "Berthilde", torpillé, au moment où le bâtiment se trouvait à 20 milles à l’Est de la pointe Stilo (côte Sud de l’Italie)...

 

Comme l'indique la mention de sa médaille militaire, il est resté jusqu'au bout pour assurer le bon ordre de l'évacuation.

 

Il était âgé de de 25 ans et célibataire.

 

Comme ses 24 autres collègues, il a disparu lors l'immersion du bâtiment, aucun corps ne semble avoir été retrouvé.  Un jugement déclaratif de décès a été prononcé par le tribunal de Toulon (Var) le 28 octobre 1918. Le jugement ne semble pas avoir été regtranscrit sur le registre d'état-civil de Groix

Par décision du Ministre de la Marine, André Louis MILLOCH sera honoré le la Médaille militaire (et de la Croix de guerre) à titre posthume

 

Extrait du Journal Officiel du 7 septembre 1919

 

La "Berthilde" avant de devenir un navire auxiliaire  de la marine nationale de 1916 à 1917, a été un caboteur allemand construit aux Chantiers Rostocker, à Rostock en Allemagne. Commencé en 1886, mis à flot en 1886 et terminé en décembre 1886. Il a les caractéristiques suivantes : 672 tonneaux ; 750 cv; 1 hélice et il mesure 52 m sur  8,3 m.  Immatriculé à Hambourg, il est utilisé comme bateau de sauvetage pour le compte de la Nordischer Bergungsverein à Hamburg.

En 1891, le vapeur "Berthilde" est intervenu pour récupérer la cargaison du vapeur neuf allemand Trifelds de Brême, échoué le 12 août 1891, à 11h, par temps de brume, sur les roches des Pierres Noires au large de Brest.

 

En 1902, Berthild participe au renflouement du paquebot Niger échoué en Grèce.

En 1908, Berthilde, alors basé à Tanger, sera sollicité pour participer aux tentatives de renflouement du transport Nive, échoué près de Casablanca le 31 décembre 1908.

 

Ce navire qui n'a pas bonne réputation est expédié par Sa Majesté l'Empereur Guillaume II à Istanbul juste avant l'aube de la Grande Guerre. Le bateau de sauvetage allemand Berthilde parvient, en Juin 1914, à éperonner dans le port le cargo compatriote "Reiftbech", chargé de 2000 tonnes de marchandise, amarré entre le "stationnaire" russe et le "stationnaire" autrichien. La malheureuse victime coule en cinq minutes, entraînant avec elle par le fond la totalité de son équipage. Une embarcation du "stationnaire" autrichien, aussitôt mise à l'eau et volant au secours de ses alliés germaniques disparaît aussi avec ses cinq occupants. (cf. Journal des débats, Juillet 1914).

 

Jusqu'en août 1916, rien à signaler, sinon que la "Berthilde" ne sert à rien, ce qui est un comble pour un navire de sauvetage en pleine guerre navale.

 

Mais, le 2 Septembre de cette année-là, il est pris, réquisitionné, par les Français à Éleusis (ou dans la rade de l'Ile de Milo), en ayant eu juste le temps à ses marins allemands de saboter les machines. L'équipage se retrouve en captivité.

 

Il est alors estimé à 1.250.000 fr. par son armateur.  La prise est déclarée «bonne et valable» par une décision rendue par le Conseil des prises le 29 novembre 1917 (J.O. 9 janv. 1918, p401/402  voir ci-dessous)

 

 

Le navire, lui, va entamer en remorque une lent voyage jusqu'à Corfou, puis de là au Pirée. Mais au Pirée, la France se taille une assez mauvaise réputation en bombardant et occupant Athènes à partir du 1er décembre (voir François PRUEL). Plus question de faire réparer le navire par un chantier grec. Retour donc à Corfou, toujours au bout de sa remorque, où la "Berthilde" va finir, en toute logique militaire, par être dépouillée de la totalité de son excellent matériel de sauvetage ainsi que de la majeure partie de ses équipements de navigation (compas, jumelles, chronomètres, cartes, radio). On lui barbote même le canot du Commandant. Elle doit devenir, après quelques réparations sommaires, un "navire de servitude" et être affectée à la manœuvre des filets de protection autour des grosses unités navales. Un travail de tout repos, dit-on. Plus question de reprendre la haute mer.

 

 

Témoignages des survivants

 

Maître de timonerie YZAC

 

En plus du rapport ci-contre: C’est Yzac qui a perçu la torpille

" Le sous-marin s’est d’abord dirigé vers une embarcation qui flottait quille en l’air pour tenter de la redresser. Ayant constaté qu’elle était trop démolie pour servir, il s’est approché de la "pétrolette" et un homme du sous-marin s’est jeté à la mer pour venir prendre la bosse avec laquelle ils ont tiré le canot le long de leur bord. Après avoir largué la pétrolette à 5 milles de terre, le sous-marin a fait route à l’Est".

 

Quartier Maître mécanicien CLEMENCON

"J’étais de quart dans la machine au moment où la torpille a explosé et j’ai entendu un choc par bâbord. L’eau est aussitôt entrée dans la machine, accompagnée d’une fumée noirâtre venant du tunnel et prenant à la gorge. J’ai stoppé la dynamo et j’ai voulu fermer le registre, mais l’eau montait si vite que je n’ai eu que le temps de m’échapper par la montée des chaufferies.

 

En traversant les chaufferies, j’ai dit : «Les gars, nous sommes torpillés ; sauve qui peut, il est temps». J’ai indiqué qu’il fallait monter par les chaufferies, mais un chauffeur ne m’écouta pas et voulu fuir par la machine. Il y a trouvé la mort. Une fois sur le pont, je vis en regardant l’arrière que l’eau couvrait déjà la moitié du bâtiment et voulus monter sur le gaillard. Mais un jet de vapeur sortit de la cheminée et tout le pont vola en éclat. Le mât et les cheminées tombèrent. Je me jetai à l’eau par bâbord et le bâtiment disparut en moins d’une minute. Je me dirigeai vers la vedette et restait le long du bord jusqu’à ce que les blessés aient été recueillis. En montant dans la vedette, je vis que le sous-marin approchait en déployant son emblème national, un pavillon autrichien tenu à la main. Il nous fit signe d’approcher, tandis qu’il tentait de redresser notre baleinière qui était chavirée. Une fois accostés près du sous-marin, un officier nous demanda : -« Quel est le bateau que nous venons de torpiller ? » et nous répondîmes « Berthilde»".

 

extrait de la Dépêche de Brest du 24 juillet 1917.

 

Un petit vapeur coulé.
Vingt-cinq disparus.

 

Paris, 24 juillet.


Le vapeur Berthilde, petit ravitailleur de l'armée navale a été coulé le 12 juillet par un sous-marin en Méditerranée orientale
Les disparus sont au nombre de 25. Les familles ont été prévenues."

 

carte postale de propagande allemande


 

Courrier de protestation du Commandant OHL, le 17 Décembre 1919 :

 

"Il y a trois jours seulement, j’ai lu le Journal Officiel du 15 Octobre portant citation à l’Ordre de l’Armée de 27 bâtiments de l’Armée Navale disparus du fait de l’ennemi et j’ai été douloureusement surpris en ne voyant pas sur cette liste le nom de "Berthilde". Si je demande qu'il soit ajouté n'y voyez aucun but personnel. Pendant cette guerre, je n’ai jamais rien demandé pour moi, sauf de rentrer en France pour me battre et, ayant un bateau de tout repos comme le "Rhône", d’en avoir un autre faisant un service de guerre plus actif.

 

Après le conseil de guerre et l’acquittement qui en fut la conclusion, je n’ai fait de démarches que pour faire récompenser mon personnel et, grâce à vous, les braves disparus ont eu les citations qu’ils méritaient.

 

C’est encore pour l’équipage de "Berthilde" et pour l’honneur du bateau lui-même que je demande que son nom soit ajouté à la liste de ceux déjà cités... Le torpillage de "Berthilde" eut lieu dans des conditions particulièrement tragiques. Nous fûmes torpillés 24 heures après notre départ à 30 milles dans l’Est de Spartivento. Moins d’une minute après le choc, "Berthilde" avait disparu, mais aussi 25 hommes, tués par l’explosion, ou n’ayant pas eu le temps matériel de monter du fond du bâtiment, ou parce qu’ils sont restés à leur poste jusqu’à la dernière minute, comme l’armement de la pièce avant, ou comme ceux qui sur mon ordre ont tenté de mettre les embarcations à la mer. Moi-même, n’ayant pas quitté la passerelle et ayant disparu dans le tourbillon, je ne dus qu’à une chance inespérée de revenir à la surface et d’être recueilli par la seule embarcation ayant flotté.

 

Tout le monde a montré le plus grand calme et fait son devoir. Le Commandant en chef le reconnaissait lui-même en accordant quelques jours après, en Août 1917, c’est-à-dire avant tout conseil de guerre, un Témoignage Officiel de Satisfaction aux officiers et à l’équipage du bateau de sauvetage "Berthilde" pour leur conduite lors du torpillage.

 

Le Conseil de Guerre s’est tenu en mars 1919, à mon retour de captivité et a acquitté le commandant. De nombreuses relations témoignent encore que l’on avait rien à reprocher au personnel dans l’accomplissement de son devoir, rempli jusqu’au bout.

 

Le bateau de sauvetage "Berthilde" était peu connu. L’oubli est donc excusable dans les journaux officiels qui ont suivi celui du 15 Octobre et ont réparé d’autres oublis comme "Dupetit-Thouars", "Amiral Charner",…etc

 

J’espère qu’il sera encore temps. J’ai malheureusement quitté Marseille le 17 Octobre sans avoir vu le JO du 15, et le service postal entre France et Indochine est tellement irrégulier que cette lettre ne vous parviendra pas avant le 20 Janvier 1920. Je suis à Saïgon depuis le 12 Novembre, hors cadre, et j’ai repris mon service au pilotage de la rivière de Saïgon... "

 

Lieutenant de Vaisseau. Camille Bernard Eugène Jean OHL,  commandant du Berthilde

 né le 17 avril 1880 à Bayonne, décédé le 13 janvier 1947 dans les Landes
Promu officier de la Légion d'honneur par décret du 23 avril 1931, pour le sauvetage de l'équipage de Berthilde le 12 juillet 1917. 

Il est cité à l'ordre de l'Armée navale en mars 1920: " Pour la belle conduite et la façon dont il a dirigé le sauvetage de ses hommes lors du torpillage par un sous-marin ennemi, le 12 juillet 1917, du bâtiment qu'il commandait.".

 

 

Le "Berthilde" sera finalement cité à l’ordre de l’Armée en ces termes  (J.O. du 28 mars 1920) :

 

"Le bâtiment de sauvetage "Berthilde": torpillé par un sous-marin ennemi en mer Ionienne, a coulé en une minute. La moitié de l’équipage a disparu avec le bâtiment. Tous à bord ont donné de beaux exemples de sentiment du devoir, de dévouement et de sang-froid".

 

 

<<<   ^^^  Mort pour la France, le nom de Louis André MILLOCH est gravé sur tous les monuments mémoriels de Groix