Pêche ancienne, elle est très présente dans le sud Bretagne à la fin du 18ème et au 19ème siècle
Au début du XVIIIème siècle, tous les Groisillons s'adonnent à la pêche à la sardine. Cette pêche est saisonnière, elle se fait à bord des chaloupes non pontées avec des filets et de la rogue (œufs de poisson salés utilisés comme appât, mot d'origine norvégienne). Le reste de l'année, on pratique les petites pêches saisonnières, par exemple celle du maquereau en mars. Les engins de pêche, lignes, cordes, casiers... varient en fonction du type de pêche. La sardine est alors commercialisée pressée ou salée. Salée, elle est chargée à bord des chasse-marées, chaloupes pontées dont la rapidité est la première qualité requise; la revente doit en effet se faire dans les meilleurs délais. C'est lors de ces déplacements que les Groisillons entrent en contact avec les pécheurs de thon germon du golfe de Gascogne.
Année 1785
Département de l’Orient
Armement de Chaloupe pour la Pêche n° 2
Rôle de l’Équipage de la Chaloupe La Marie Françoise du lieu de Groix, de deux tonneaux appartenant au Maître et Société armé à Groix pour faire la pêche du Poisson, conformément aux Ordonnances et Règlements rendus à ce sujet.
Dates des changements faits dans l’équipage |
Noms, surnoms, demeures et qualités |
Age, Taille et poils |
Qualité et solde au service du Roi |
Classe et folio |
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Maître Claude Milloch, de Groix Matelots Joseph Milloch, de Groix Barnabé Lorec, dito
Martin Calloch, dito Mousse Joseph Calloch, dito |
54, h, br
26, m, n 27, m, br 17, h, br
12, p, ch |
s.s.
gabier gabier s.s.
s.s. |
3.517.75
. 161.40 3.584.475 .166.69
illisible |
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Récapitulation Maître, 1 Matelots, 3 Mousses, 1 Total 5 hommes |
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Je soussigné Claude Milloch du lieu de Groix (né en 1732, fils de Gildas et Bonnaventure JOB)
Maître de la Chaloupe la Marie Françoise de Groix reconnais que Monsieur Le Jeune, commissaire aux Classes de la Marine, au Département de l’Orient m’a remis les quatre matelots et mousses dénommés au présent Rôle, pour faire la pêche du poisson jusqu’à la fin du mois d’octobre prochain, que je promets lui en rendre compte et lui remettre le présent rôle, me soumettant d’observer les ordonnances et règlements du Roi, et notamment ceux des 23 avril et 24 décembre 1726, rendus par le fait de la pêche, sous les peines y énoncées; m’oblige en outre, de faire viser le présent par messieurs les Commissaires de la Marine, ou officiers de Classes des Ports où j’aborderai; et de ne faire, avec ma dite chaloupe, aucuns transports de marchandises d’un port à l’autre, sans en faire une déclaration auxdits Officiers des Classes, me soumettant en ce cas, à payer les droits qui pourront être dus aux Invalides de la Marine; le tout à peine de deux cents livres d’amende.
Fait à l’Orient, le 25 juin 1785.
Arrêté le présent rôle contenant cinq personnes d’équipage; permis au susdit Maître s’en servir pour la pêche du poisson jusqu’à la fin du mois d’octobre prochain, aux conditions ci-dessus. Prions Messieurs les Commissaires de la Marine et Officiers des Classes des Ports où le susdit Maître se trouvera après ledit temps expiré, de nous le renvoyer.
Fait à l’orient, les jour et an susdit signé Lejeune
Vu par nous Commissaire-Général des ports et Arsenaux de Marine au susdit Port
signé illisible
En l'an XII de la République (1804-1805), les chaloupes sont montées par 4 (ou5) hommes: le patron, 2 (ou 3) matelots et un mousse. On se rend dans les parages où l'on estime que la sardine existe en plus grande abondance; on met bas les voiles et les mâts et l'on tourne le bateau « bout au vent ». Deux hommes choisis, autant qu'il se peut parmi ce qu'il y a de plus fort et de plus adroit, mettent avec des avirons tout leur art à le maintenir dans cette position en parfaite harmonie avec les filets dont on tend toujours un à la suite du bateau pour commencer. Ces filets ont 14 à 15 brasses de long. Ils sont garnis de liège par le haut et de pierres par le bas, pour les faire couler et les tenir bien tendus verticalement et à fleur d'eau. Les choses ainsi disposées, il s'agit d'attirer le poisson jusqu'au filet; il se tient ordinairement au fond de la mer où l'on suppose qu'il est retenu par des végétaux ou autres substances dont il se nourrit. Pour le faire monter à la surface, on emploie un appât connu sous le nom de rogue. Ce sont des œufs de morues, de cabillaud, de stockfischs et de maquereaux. Ces œufs sont salés et mis en barils pour les conserver. On a eu soin d'approvisionner chaque chaloupe de 4 à 5 baquets de cet appât. Chaque baquet peut en contenir 45 à 50 livres. Le patron se fait servir un de ces baquets par le mousse qui fait avec lui toute cette partie du travail de la pêche. Il y prend une membrane contenant des œufs de morue ou autre poisson, il la déchire et délaie, dans un peu d'eau de mer, ces œufs qu'il jette d'abord à droite et à gauche du filet. Il débute même ordinairement par en jeter de petits morceaux sans les tremper, parce que, présentant moins de surface et plus de matières sous un plus petit volume, ils se précipitent plus rapidement, et parviennent plus promptement à la sardine qui est entassée au fond, et qu'il s'agit d'attirer. Il continue alors d'en répandre en la délayant bien dans l'eau, et en la pressant tellement dans sa main, que les œufs s'échappent bien divisés, et garnissent, des deux côtés du filet, un espace assez large qu'on appelle graissin ou lardon, parce que l'huile exprimée de ces œufs, polit la surface de l'eau et lui donne un aspect gras. Le patron en répand quelquefois pendant plus d'une heure, après laquelle il change ordinairement de place, s'il n'a rien levé et il va faire ailleurs un autre essai. Si le poisson lève, il s'annonce par des bouillons ou petites bulles d'eau qui montent à la surface, et que l'œil exercé du marin distingue d'abord des bulles semblables qui ne sont produites que par l'agitation des vagues. La pêche commence alors. Cette longue traînée d'œufs, répandus pendant une demi-heure ou plus, étendue au loin, par la dérive du vent et de la marée, se déposant continuellement de proche en proche et çà et là, sur des lits ou amas de sardines, en fait monter toujours à la surface de l'eau, et en réunit dans le graissin une très grande quantité Le patron ne manque pas de profiter de ce moment avec toute l'habileté dont il est capable, en dirigeant sur son filet, par une distribution adroite de son appât, la vivacité extraordinaire de ce poisson. Celui-ci, cédant à sa voracité naturelle se jette sur l'appât, sans égard au filet dont il veut traverser les mailles, mais il y reste pris par les ouïes. Cet effet est plus sûr quand le ciel est couvert, que la mer a été agitée, que les vents sont bas et qu'il tombe une petite pluie, car ce poisson maille peu quand le temps est serein. Quand le premier filet est suffisamment garni de poissons, on y en attache un second qui est suivi d'un troisième, et ainsi de suite jusqu'à neuf à dix que l'on attache ainsi successivement bout à bout. On fait toujours avancer la chaloupe au vent, et l'on ne cesse d'attirer le poisson sur le dernier filet, à force de répandre l'appât.
La pêche à la sardine, est la proie de terribles vicissitudes. Les crises sardinières se succèdent dans l'histoire mouvementée de cette pêche. Les causes en sont souvent politiques et économiques, comme la perte du Canada, qui, dès 1763, diminue considérablement les apports de rogue (œufs de morue salés, appât indispensable lors de la pêche à l'aide de filets maillants) par les Terre-Neuviers français ; la perte du marché de Saint-Domingue, où la sardine salée servait, avec la morue en vert, de nourriture aux esclaves noirs; l'augmentation catastrophique des droits sur le sel pendant les guerres d'Empire. Mais les origines des crises sont souvent aussi biologiques, ou écologiques ; que la sardine, pour de mystérieuses raisons, disparaisse soudain, ou pullule, et ç'en est fait des ressources estivales du pêcheur, désarmé par ailleurs devant le cartel des usiniers. Si, au cours de l'époque qui est évoquée dans ce livre, la pêche de la sardine occupe chronologiquement, la première place, son importance diminue très vite, au point que, vers 1900, elle est totalement abandonnée par les Groisillons qui lui ont trouvé des activités de remplacement infiniment plus sûres et rémunératrices. C'est pourquoi nous ne ferons qu'évoquer très succinctement cette activité maritime si peu représentée à Groix au cours du dernier siècle de la pêche à la voile.
Au début du XIXème siècle, le monopole bellilois du cabotage de la sardine en vert va se perdre, au plus grand profit des Groisillons. Ceux-ci ne possèdent alors pas de "chasse-marée", mais uniquement les petites chaloupes non pontées utilisées pour la pêche à la sardine. Or "il est reconnu que, dans les premiers mois de la pêche (à la sardine), ce sont les chaloupes et petits bateaux non pontés qui font presque seuls, le cabotage des sardines, parce que dans cette saison des calmes, ces bateaux peuvent aller à l'aviron et arrivent ainsi de bonne heure à leur destination." Pétition du 5 mai 1821 de M. Deramecourt, maire de Palais (Belle-Ile).
À cette époque, vers 1820, le produit annuel de la pêche à la sardine était évalué à douze cent mille milliers. Sur cette quantité, cent mille milliers étaient vendus à la côte, à des particuliers ; deux cent mille milliers allaient aux presses et servaient à la fabrication de 50 000 barils (4 milliers par baril) ; le reste, neuf cent mille milliers se vendait aux caboteurs qui salaient la sardine à bord et partaient la revendre dans les ports où cette pêche n'existait pas.
Ces caboteurs étaient de petits chasse-marées, au nombre de 200 environ, ou même de simples barques non pontées, commandées par des patrons -pêcheurs. La concurrence entre les presseurs et les caboteurs devait amener fatalement des disputes plus ou moins vives.
Justement, à cette époque, les presses se trouvaient dans une situation difficile. La cherté de la rogue avait occasionnée une importante diminution dans le rendement de la pêche. D'autre part, le nombre des caboteurs augmentait de plus en plus. Grâce à la franchise du sel dont ils jouissaient, ils pouvaient acheter plus cher que les presses, et, malgré cela, réaliser de jolis bénéfices.
Cette fonction de sardiniers, de chasseurs, est déterminante pour l'évolution du bateau groisillon. Les impératifs du cabotage de la sardine en vert: vitesse, tonnage élevé, aménagements permanents pour les équipages qui ne reviennent plus à terre chaque soir vont faire naître un nouveau type de bateau, la chaloupe pontée, qui se révélera très rapidement apte à bien d'autres fonctions que celles de chasse-marées. Aussi, voit-on bientôt séjourner à Port-Tudy, surtout à l'époque de la pêche de la sardine, de fortes chaloupes pontées de 15 à 25 tonneaux, qui prennent des chargements de poisson frais, pour plusieurs points du littoral. " Cette activité particulière des Groisillons, par les bénéfices qu'elle rapporte, restera longtemps une occupation recherchée dans les moments où la pêche hauturière ne donne pas d'excellents résultats. Pour le transport de la sardine, il revient aux propriétaires de la chaloupe, trois parts 1/2. Les propriétaires avancent l'argent pour l'achat de cette sardine.
Le cabotage de la sardine pratiqué par les Groisillons le long des côtes bretonnes n'est pas sans répercussion, puisqu'il permet de combattre efficacement l'asservissement économique dans lequel les usiniers des conserveries tentent de maintenir les populations de pêcheurs de sardines. Toute l'histoire politique de Douarnenez, par exemple, est liée à cette lutte contre l'impérialisme industriel, qui vaudra au grand port finistérien d'élire la première municipalité communiste de France, et à ses ressortissants l'épithète de maloh toul.
" Nous avons encore les Groisillons, grandes chaloupes pontées de Groix, jaugeant de 15 à 20 tonneaux, armés à la pêche, qui viennent chaque année, acheter la sardine dans notre baie. La sardine y est déposée sur des espèces de grillages en bois, et, salée légèrement, assez toutefois pour être conservée 48 heures au moins; elle est transportée sur les points de la côte où la pénurie de poisson lui fait atteindre des prix plus élevés que sur notre place. C'est là une concurrence des plus sérieuses, et qui oblige presque toujours nos usiniers à maintenir les prix à un taux suffisamment rémunérateur."
Parallèlement à ce commerce national, les Groisillons vont mettre à profit, grâce aux qualités nautiques de leurs bateaux, la ressource considérable que représente la pêche de la sardine le long des côtes espagnoles et portugaises ; non seulement le poisson, pêché en grande abondance, y est vendu à bas prix, mais le cours des changes y est nettement favorable à la monnaie française. Une telle aubaine se devait d'être saisie ! Certes les pêcheurs se mettent alors en contravention, d'une part avec l'Inscription maritime, puisqu'ils vont faire le cabotage international avec des rôles d'armement à la pêche, mais également avec les Douanes, puisqu'ils fraudent à la fois sur le sel et sur l'importation de produits étrangers. Mais dans notre pays, cloisonné par des administrations hiérarchisées, indépendantes, voire hostiles l'une à l'autre, la contrebande groisillonne va devenir une aventure digne des Pieds Nickelés.
Rapport de I.M. en 1889 : " Monsieur le Commissaire général, J'ai l'honneur de vous informer que plusieurs bateaux de Groix se rendent chaque année sur les côtes d'Espagne pour y acheter des sardines, il n'y a pas à en douter, car ils partent sans engins de pêche, et en auraient-ils que cela ne prouverait rien. Ces sardines, ils les préparent à bord avec du sel français, et viennent ensuite les vendre dans les ports de France. Or les bateaux en question sont commandés par de simples patrons de pêche, alors qu'ils devraient l'être par des maîtres au cabotage... Les pêcheurs de Groix ne reviennent jamais chez eux pour y écouler le poisson acheté en Espagne, par suite il est impossible à notre administration de constater la contravention commise. "
" Le Sieur Baron, Jean-Marie, patron de la chaloupe « Sauterelle », a été condamné à 100 F d'amende, pour avoir, le 23 octobre 1889 transporté sur son bâtiment des marchandises de la côte d'Espagne à Auray. " 21 fév 1890
" Je suis moralement certain que les patrons des chaloupes « Surprise » et « Hirondelle » ont acheté de la sardine à Vivero pour la transporter en France avec un rôle armé en pêche. L'Hirondelle, qui a fait côte au Verdon, était chargée de sardines et le patron n'a pu m'affirmer le contraire. La Surprise qui naviguait de conserve avec l'Hirondelle devait en avoir également. " 3 octobre 1893
" Les sieurs Bihan, Tudy, patron du T.B. ; Puillon, patron de la Jeanne-d'Arc ; Noël, patron du Limier... m'ont déclaré avoir relâché en Espagne pour faire des vivres ; mais je crois que c'est surtout pour prendre un chargement de sardines... " 6 novembre 1893
" L'affaire du « Clovis », ce bateau qui a été arrêté avec son chargement de sardines, occupe aussi les journaux de Paris. D'après eux, nos experts de la capitale auraient déclaré, après avoir dégusté la sardine, que le chargement venait d'Espagne. Ils ajoutent que ces trois experts doivent avoir un flair sans pareil, pour faire la différence entre les sardines du Golfe, surtout lorsqu'elles sont salées. " 2 avril 1899
" Le dundée Forban, arrivé à Lorient avec un chargement de sardines, a été saisi par la douane et mis en quarantaine parce qu'il est soupçonné d'avoir pris son chargement en Espagne. On aurait trouvé dans le porte-monnaie du patron de la monnaie espagnole. On aurait également découvert un livre de comptes, caché dans la boîte du compas. " 28 octobre 1899
" La contrebande ! À Groix, il y a eu deux bateaux qui ont fait la sardine, vraiment la sardine, en Espagne et au Maroc. L'un était l'Eugénie, patron Charles RIO. Ils sont partis avec de la rogue, mais de mauvais filets. S'ils avaient eu des filets en nylon ! L'Eugénie avait quand même chargé, au. Maroc alors. L'eau était si blanche qu'ils ne voyaient pas les bourbouilles. Ils mettaient les filets dehors par leur canot, et ils boettaient. Tout d'un coup voilà le filet qui allait au fond. Alors, attrape ! Attrape ! Attrape ! Mais trop tard ! Comme les filets étaient usagés, filets en coton, de ce temps-là, qui avaient été sans doute mal ramassés, et mal conservés, les filets partaient avec le poisson. L'Eugénie avait réussi à faire sa pêche quand même, Rio avait chargé son bateau; l'autre bateau, je ne sais plus son nom. Autrement, tous les autres, c'était de la contrebande, tous ! »
Mais déjà de ce temps-là, les chaloupes allaient aussi au fond du Golfe, à la côte d'Espagne, vers Bilbao, Gijon, charger la sardine. Après, quand sont venus les dundées, bons marcheurs, ils allaient plus loin, au Portugal. Les bateaux qui faisaient ça, désarmaient de la pêche au thon. Certains faisaient le chalut, d'autres le cabotage de la sardine. Quand ils avaient fait deux voyages, ils avaient fait la saison. Ils partageaient jusqu'à 2 000 francs !
Il ne fallait pas se faire prendre. Il y avait donc deux feuilles de rôles. Le Syndic vous donnait la deuxième, en cachette: à vous de la faire, quoi ! Avec des semblants de cachets dessus, et des faux noms : certains s'appelaient Glénan, un autre Kornog ou Mervent, on mettait n'importe quoi ; les Espagnols n'y voyaient que du feu. Avec ce rôle-là, on allait trouver le Consul. Les numéros des bateaux étaient cachés, et l'on faisait un autre numéro sur une pièce de toile rapportée sur la grand-voile. C'est pour ça que certains peignaient leurs numéros sur une même laize, verticalement : une pièce là-dessus, ça faisait réparation, normal, quoi... Nom changé aussi.
Mais il n'y avait pas des tas de bateaux quand même. Il y avait les abonnés, des types qui gagnaient des sous. J'ai connu Petit-Jacques. J'ai connu l'Anna-Marie ; le gros Tudy Bihan, de Locmaria, un gros qui faisait 135 kilos. C'était le roi du cabotage, lui, il soudoyait les douaniers. C'était un as.
Pour la transporter, ils salaient la sardine, sur pile ; ils transportaient sur pile, en cale. La cale, voyez la cale d'un thonier : il y a les couchettes de chaque côté, la plate-forme, les épontilles. La pile de sardines était appuyée contre la cloison de la cale à la chambre et allait en pente douce sur l'avant jusqu'au mât. Sardines en vrac. Ils chargeaient à la main : ils avaient les mains toutes bouffées avec ça ; j'ai vu acheter 500 000 sardines dans la même journée, à Vigo, au Portugal. Ils travaillaient toute la nuit.
Les lanches étaient tout le long du bord, avec leur poisson dedans. Les lanches, les bateaux qui faisaient la pêche traînaient un autre bateau en remorque derrière eux. Cette remorque-là était chargée de poissons. Avec des niveaux, en bois, gradués, piqués dans la pile de sardines, on savait qu'il y avait tant de mille de sardines. Ces bateaux-là pêchaient à la senne à ce moment-là, au filet tournant C'est eux d'ailleurs qui ont amené le métier de la sardine à perte : tout a été détruit par ces pêcheurs. Les gars de Saint-Jean-de-Luz ont commencé après. Comme le Français de Douarnenez a retenu, le dernier, les filets droits, n'a jamais voulu prendre la senne, il y a eu la guerre entre les bateaux à filets droits et à filets tournants. Douarnenez a voulu maintenir le filet droit, et si on l'avait maintenu, il y aurait encore de la sardine ; tout a été détruit par le filet tournant, petit comme gros...
Alors, il y avait un matelot ou deux Portugais, avec les Groisillons, qui chargeaient la sardine. On chargeait à l'aide de paniers ronds avec deux anses ; on mettait deux ou trois cents de sardines dedans, ça dépendait. Tant de cents dans un panier. Au bout qu'il y avait un mille de passé, le patron groisillon donnait un jeton aux Espagnols. Il fallait que les saleurs, ça marche en même temps. Les paniers de chargement étaient versés dans la cale, et il y avait deux ou trois saleurs. Ceux-là avaient la responsabilité du chargement. Il fallait savoir la quantité de sel à mettre suivant l'état huileux du poisson ; la sardine étant plus grasse, il fallait davantage de sel, autrement elle prenait le rouge ; c'était au saleur de savoir combien de poignées de sel mettre dans son panier avec chaque cent de sardines.
Les paniers des saleurs étaient des paniers ronds, à une seule anse, qu'on appelait paniers de La Rochelle. Il allait un bon cent de sardines là-dedans. Quand le poisson était gros, ça faisait des jaloux ! Une fois mis les poignées de sel dans le panier, il fallait que le saleur remue son panier avec l'anse. Puis il jetait la sardine, en éventail, Rrrrrr ! sur la pile. Il y en avait jusque dans les couchettes ; pas d'épontilles, pas de bardis pour les tenir ; rien du tout.
Le dundée allait ensuite vendre en France, le plus vite possible ; à celui qui arriverait le premier, les meilleurs prix ! Dame, ils crevaient leurs bateaux !
Le poisson arrivait vert ici. Aah ! Qu'est-ce qu'on en mangeait ! C'était vendu à la population, souvent du côté d'Auray. Tous les paysans, à Saint-Goustan, arrivaient avec des voitures à cheval, et achetaient des mille et des mille pour la provision d'hiver. Au lieu du lard, ils mangeaient de la sardine salée. Ça donnait goût à boire du cidre. Les poissons du dessus de la pile étaient encore les meilleurs.
On passait aussi dans les villages de Groix, avec le cheval et la voiture, paniers de sardines là-dedans ; 1 sou, 2 sous le cent, 2 sous la douzaine, ça dépendait des prix. On les mangeait crues, comme ça, sardines salées et patates chaudes, patates en robe, sur le pain beurré. On enlevait la tête et les boyaux, on enlevait les écailles : elles avaient toutes des écailles à ce moment-là ; c'était bien. Chez nous, on mettait ça sur la table, chacun se débrouillait ; il n'y a que les petits qui ne pouvaient pas ; il y avait un grand chiffon sur la table, et chacun y essuyait ses doigts. Pour l'hiver, on mettait ça dans un panier avec un petit peu de sel dessus. Chez Louis Gilles, ça se fait encore, mais ça ne vaut plus la sardine qu'on recevait d'Espagne à ce moment-là.
Bien sûr, ceux qui faisaient cette contrebande faisaient en sorte de ne pas se faire prendre ; mais il y a eu des histoires, tout de même. L'histoire du douanier foutu en bas du quai, oui, oui, oui. On a soupçonné la Marseillaise, à Joseph Yvon, et aussi J.P. Le Dreff, dit J.P. Grenlo. Ils sont arrivés tous les deux, puis ils ont causé de ça à leurs femmes ; leurs femmes ont causé de ça au lavoir. La femme du douanier Ridant était à laver le linge ; elle comprenait le breton, mais les autres ne se sont pas méfiées. Elle a dit à son mari que deux contrebandiers arrivaient d'Espagne avec la sardine. Le soir, cet imbécile, s'en va tout seul pour faire un bon coup. Ben oui, mais il est mal tombé. Les autres sont arrivés à l'escalier du bout de la jetée du Suet. " T'as fait une bonne prise ? " : ils lui ont flanqué une sacrée roustée, et il est tombé en bas du quai. La mer était basse. Sans le gardien du phare, il était mort : ça se passait à 2-3 heures du matin...
Tenez, le coup du Mayflower, patron Tudy Adam, marié à Etel. Il avait été blessé à la guerre 1914-1918 et boitait beaucoup. Ça se passait au bassin, à Lorient, je ne sais plus en quelle année. V'là le cap'taine des Douanes qu'arrive. Il fouille partout, il fouille, fouille: rien. Pas une pelure d'orange, rien du tout comme quoi ils avaient été à terre.
Puisque vous dites que vous avez senné votre sardine, là, que vous l'avez pêchée au filet, pourquoi que vous ne faites pas un coup de senne dans le bassin pour me faire voir comment vous faites ? "
Ben l'autre avait été bien obligé de le faire ! "Allez les gars, on va embarquer la senne un coup ; on va faire un coup de senne ici devant le cap'taine des douanes ". Ils n'avaient jamais senné ! Coup de pot, c'est lui-même qui m'a raconté ça. Il amarre un bout de filin sur la bitte arrière ; canot, avec deux avirons ; " Paré ? " - " Oui. " Allez ! " Alors il commence à filer la senne ; il fait le tour du bassin, et il est venu mourir à la bitte sur l'avant, comme si ç'avait été mesuré. Pouvait pas dire qu'il ne savait pas senner, pour faire ça ! Il avait du boire un coup de trop ou de pas assez, un coup de chance: - Allez les gars, tirez ". Souquent dessus, six mulets dedans ! Alors le cap'taine des Douanes aurait voulu les avoir, les mulets: " Ah non! Vous n'aurez rien du tout ! "
" Le plus jeune et le plus grand contrebandier que nous avons en France " avait dit le cap'taine des Douanes. Et le bateau était chargé de sardines, au raz des préceintes... "
A la fin du XIXème siècle, la technologie de la pêche sardinière se modifie assez sensiblement. Les bateaux se transforment, de nouveaux types de filets déclenchent des polémiques sanglantes. D'après les marins de Groix, l'emploi de la grande et de la petite Seine (sic...) Belot, du filet tournant et du filet errant est la cause principale de la disparition de la sardine et d'autres espèces de poissons, attendu que ces engins capturent en une seule fois, en même temps qu'une masse de sardines, d'innombrables quantités de petits poissons de passage non marchands. Aussi, aujourd'hui, les Grésillons, qui ne se servent que des filets ordinaires, ne prennent-ils plus de sardines. En général les bateaux sardiniers sont lourds à manœuvrer; les rameurs ont de quoi suer lorsqu'il faut tenir debout au vent. Cependant, depuis quelques années, plusieurs ont des canots annexes, qu'on remorque jusqu'au lieu de pêche et avec lesquels on tient debout. C'est grâce à cela qu'on peut voir actuellement des sardiniers pontés. Autrefois tous étaient creux.
Mais l'histoire de la pêche à la sardine se déroule essentiellement dans le Finistère: Douarnenez et le pays "pen sardin", Concarneau, ou plus au sud, aux Sables-d'Olonne et dans les petits ports vendéens.
" Autrefois (avant 1884, n.d.a.), beaucoup d'usiniers passaient, avec des pêcheurs travaillant isolément ou en société, des traités où ils s'engageaient à acheter à ceux-ci le produit de leur travail suivant un prix variable de 24 à 36 francs la douzaine. Ces pêcheurs s'engageaient aussi, du reste, à ne livrer leur poisson qu'aux fabricants avec lesquels ils avaient un abonnement; puisque tel était le nom de ce genre de marché. " G. Roché et A. Odin, 1893